Covid-19 : la face cachée de la science

14 octobre 2021
par Raphaël Duboisdenghien
Durée de lecture : 4 min
"Covid-19, science et politique", par Michel Claessens. Editions Les 3 Colonnes. VP 22 euros, VN 12,99 euros
« Covid-19, science et politique », par Michel Claessens. Editions Les 3 Colonnes. VP 22 euros, VN 12,99 euros

Avec la covid-19, «le monde de la recherche s’est retrouvé au cœur, et acteur, d’une crise sanitaire qui a porté sur le devant de la scène ce binôme improbable composé du scientifique et du politique», constate Michel Claessens. «Le public assiste presque en direct autant aux avancées qu’aux lenteurs de la recherche. Il constate à la fois les progrès de nos connaissances et l’immensité de nos lacunes dans le domaine de l’épidémiologie et des maladies infectieuses. Il s’est introduit dans les coulisses de la recherche, découvrant les arcanes et les rouages de la science.»

Comme scientifique et journaliste, l’enseignant à l’ULB décrit cette face cachée dans «Covid-19, science et politique» aux éditions Les 3 Colonnes. En recommandant de se concentrer sur l’essentiel. De développer la connaissance. De lutter contre l’ignorance. De penser solidarité et coopération.

Des milliers de morts en trop

L’expert en communication scientifique et relations science-société s’appuie sur le site de l’Université étatsunienne Johns Hopkins pour retracer les grandes étapes de la maladie causée par le SARS-CoV-2, le coronavirus responsable de la covid-19. Il dégage les grands axes de la crise en examinant les stratégies adoptées par les pays en première ligne. Plus particulièrement la Chine, la France, le Royaume-Uni et les États-Unis.

«Globalement, ces stratégies ne montrent pas de grandes différences. Pratiquement tous les pays ont été confrontés à une pénurie de masques, un manque de tests de dépistage et une sous-capacité de lits de réanimation. Avec cependant des problèmes moins aigus en Corée du Sud, au Japon, à Taiwan, en Allemagne et en Chine, notamment.»

«Mais il ressort clairement des retards incompréhensibles et une défaillance globale du processus de décision qui a créé de véritables bombes à retardement. Les politiques sont en première ligne même s’il faut reconnaître que, dans nos régimes démocratiques, nous avons tous notre part de responsabilité. Au-delà de ce panorama peu glorieux, il n’en reste pas moins que la solidarité citoyenne a été remarquable.»

Outre-Atlantique? «Aux États-Unis, l’histoire de la covid-19 restera l’un des grands paradoxes de la pandémie. Nul autre pays n’était sans doute mieux armé pour affronter celle-ci du point de vue scientifique, technique et industriel. Et pourtant, en 3 mois, plus d’Américains sont morts de la covid-19 que de la guerre du Vietnam, qui a duré 20 ans.»

Une science politisée

Les gouvernements ont souvent consulté des scientifiques. «Comme l’illustrent les événements, il est permis de douter de la qualité et de l’utilité de certains échanges entre les sphères scientifiques et politiques», pense Michel Claessens. «L’expertise scientifique était pourtant de haut niveau.»

Les gouvernants ont choisi les experts. «Sur des bases scientifiques. Mais aussi selon d’autres critères comme l’affinité politique. La visibilité médiatique ou des relations personnelles.»

«Et l’alchimie ne prend pas toujours. On peut même affirmer que, une fois dans l’arène politique, la science n’est plus scientifique. Les médias raffolent des comités scientifiques. Leurs membres sont des figures respectées. Ils donnent en général des avis… avisés. Et certains sont en phase, ou en emphase, médiatique.»

«Mais les journalistes « mainstream » (passionnés de sujets à la mode) perçoivent moins clairement la complexité du positionnement de ces experts qui, conscients de leur forte exposition publique, doivent à la fois être partie prenante des choix politiques. Tout en se tenant à bonne distance du pouvoir. Ce faisant, ils brouillent également l’image de la science et des scientifiques.»

Ne pas se placer au-dessus de la science

La pandémie a mis au grand jour le fonctionnement de la recherche. Pointant les désaccords scientifiques. Les querelles d’experts.

«La pandémie a montré que la science sous pression ne donne pas le meilleur d’elle-même», souligne le docteur en sciences. «Elle a également mis en évidence notre relation difficile avec les chiffres. Lorsque le fameux R0 (indicateur de la situation épidémiologique) dépassait l’unité, les autorités se contentaient le plus souvent d’appeler à la vigilance ou de suivre de près la situation. Alors qu’une évolution exponentielle, donc explosive, était en cours.»

«Nos dirigeants, à de rares exceptions près, ne semblent pas considérer comme indispensable de comprendre le fondement scientifique des décisions qu’ils ont à prendre. Si nos gouvernants ont parfois tendance à se placer au-dessus des lois, ils ne peuvent se placer au-dessus de la science.»

«Nous n’avons pas encore trouvé le bon mécanisme pour tirer le meilleur de la science et orienter l’action politique», conclut Michel Claessens. «Tant que notre société n’aura pas une approche plus saine et plus honnête du monde, de telles crises seront inévitables.»

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