Certaines revues de « gamers » sont des pépites journalistiques

14 décembre 2020
par Camille Stassart
Durée de lecture : 4 min

 

"Presse Start", par Boris Krywicki et Yves Breem. Editions Omaké Book. VP: 24,90 euros
« Presse Start », par Boris Krywicki et Yves Breem. Editions Omaké Book. VP: 24,90 euros

Bien que les jeux vidéo font de plus en plus l’objet de recherches universitaires, la presse traitant de ces mêmes jeux reste encore peu étudiée. Avec « Presse Start », paru aux éditions Omaké Book, Boris Krywicki, chercheur à l’ULiège, et Yves Breem, spécialiste de la presse jeu vidéo de l’ASBL MO5.COM, proposent un éclairage inédit de l’histoire de la presse vidéoludique en France. Un ouvrage qui témoigne notamment de la richesse journalistique des revues de « gamers ».

La presse vidéoludique, un objet de recherche à part entière

« Ce travail rétrospectif est assez ambitieux, car personne n’avait encore étudié l’histoire de ce média de sa naissance jusqu’à nos jours. Et on se démarque en plus en racontant cette histoire du côté des journalistes qui y travaillent », souligne Boris Krywicki, doctorant au Département Médias, Culture et Communication, et membre du Liège Game Lab.

Selon lui, le monde académique francophone accuse un retard dans l’étude de la presse vidéoludique. Il l’explique par un manque d’intérêt des chercheurs. D’autre part, ce secteur n’est pas toujours reconnu comme un objet de recherche journalistique à part entière.

« Avec cet ouvrage, on pose donc les jalons d’un nouveau sous-champ des « games studies », mais aussi dans l’histoire de la presse. On incite à prendre au sérieux ces publications, d’un point de vue économique, historique, et journalistique. »

Tests de jeux et enquêtes de terrain

Pour ce faire, les auteurs ont répertorié les 226 titres francophones parus depuis les années 80. « Inventorier l’ensemble de ces magazines nous a permis de mettre en avant des curiosités dont on parle peu comme, par exemple, “Micro Simulateur”, la référence de tous les passionnés de jeux de simulation aéronautique, terrestre et maritime. Lancée en 92, il détient le record de longévité, tous titres confondus », précise l’auteur.

Ils ont, par la suite, analysé ces publications sous un angle économique et rédactionnel, et interrogé des dizaines de journalistes spécialisés dans le domaine. « Nous voulions exposer les coulisses de l’organisation en interne, du travail que cela implique, etc. ».

Par ce livre, Boris Krywicki et Yves Breem mettent notamment en lumière la culture journalistique de la presse vidéoludique, souvent méconnue.

« Ces revues sont souvent considérées comme de simples guides d’achats. Ce qui amène à voir le secteur comme du ‘sous-journalisme’. Pourtant, nous avons constaté au cours de notre étude que certains magazines, dès les années 80, misaient sur le reportage, le long entretien, ou traitaient de sujets originaux, comme le sexisme dans le milieu du jeu vidéo. D’autres développaient des rubriques très pointues sortant de l’actualité « chaude ». Cette presse possède donc une belle culture journalistique, qui est d’ailleurs encore plus marquée de nos jours », note Boris Krywicki.

Les méthodes journalistiques face à la concurrence des influenceurs

Les enquêtes sont, en effet, de plus en plus nombreuses dans les revues actuelles. Citons, par exemple, l’investigation menée par Canard PC, en collaboration avec Médiapart, sur les conditions de travail dans l’industrie du jeu vidéo.

L’intérêt est ici de diversifier le contenu proposé aux lecteurs. Dans les années 90, ces revues papiers étaient les seuls lieux de référence pour s’informer. Mais l’arrivée d’Internet a rebattu les cartes. « En plus de la concurrence des sites web, la presse vidéoludique est désormais soumise à celle des YouTubeurs et autres influenceurs, qui présentent des jeux vidéo en différé ou en live sur Twitch », informent les auteurs. Elle a ainsi été obligée de se réinventer afin d’apporter de la valeur ajoutée à son information. La stratégie des journalistes du milieu est donc de davantage miser sur les spécificités de leur métier.

« Actuellement, il reste encore une dizaine de titres, des irréductibles qui ont survécu en mobilisant diverses solutions. Mais on a clairement quitté son âge d’or. Même si je pense que cette presse continuera à exister à l’avenir, beaucoup de publications ont disparu, et l’intérêt de notre travail est aussi de faire en sorte que ces objets culturels ne tombent pas dans l’oubli », conclut Boris Krywicki.

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