Le Vésuve, surplombant la baie de Naples

Les muons sondent les entrailles du Vésuve

14 décembre 2021
par Laetitia Theunis
Durée de lecture : 8 min

La dernière éruption du Vésuve remontant à 1944, le prochain cataclysme pourrait être imminent. Afin d’améliorer leurs modèles prédictifs, les volcanologues italiens se sont adjoints les compétences de physiciens des particules. En effet, à l’aide des muons, des particules cosmiques, il est possible d’obtenir des informations sur les dynamiques internes du volcan, jusqu’alors hors de portée des scientifiques avec les méthodes géophysiques. Dr Andrea Giammanco et son équipe de l’UCLouvain participent à ce projet MURAVES (MUon RAdiography of VESuvius) en affinant l’analyse de données à l’aide de simulation numérique et d’intelligence artificielle.

Eviter une fausse alerte

Du haut de ses 1281 mètres, le Vésuve domine la baie napolitaine. Son pouvoir destructeur l’a rendu mondialement célèbre. Ensevelies sous sa lave et ses cendres, les villes de Pompéi et d’Herculanum ont été rayées de la surface de la planète en 79 de notre ère.

Entré en éruption à de nombreuses reprises au cours des derniers millénaires, le Vésuve est considéré comme l’un des volcans les plus dangereux au monde. Et ce, tant en raison de sa tendance explosive que de l’importante population qui a élu domicile à son pied. On compte ainsi quelque 500.000 âmes dans la zone rouge, soit la zone peu urbanisée considérée comme étant la plus à risque par la protection civile italienne. Un véritable casse-tête logistique en cas d’évacuation.

« S’il y a un risque éruption, il faudra évacuer au plus vite. Mais il faut veiller à ne surtout pas émettre de fausse alerte. C’est pourquoi les volcanologues ont tout intérêt à cumuler les moyens afin d’obtenir, à court terme, des prévisions fiables. Et ce, à l’aide d’indicateurss physiques, chimiques et environnementaux qui révèlent la présence de mouvements au cœur du Vésuve», explique Dr Giammanco.

Des méthodes standards limitées

Actuellement, deux méthodes standards sont à disposition des volcanologues pour réaliser des prédictions : la gravimétrie et la sismotomographie.

La gravimétrie mesure l’attraction gravitationnelle d’une grosse masse. Cela peut se faire avec précision et permet de déduire la disposition des masses autour de l’instrumentation. Quant à la sismotomographie, il s’agit d’utiliser les ondes sismiques et voir leur diffraction/réfraction pour déduire la disposition des masses à l’intérieur de la montagne.

Etant indirectes, ces deux méthodes souffrent d’énormes limites.

Dans le cas de la gravimétrie, il n’y a pas de directionnalité. En effet, partout où il y a des masses, il y a de l’attraction. L’instrument est ainsi sensible à toutes les masses qui l’entourent avec une symétrie sphérique. Les masses situées au nord-ouest ont identiquement la même influence que celles au sud-ouest ou nord-est.

« Ce problème peut être résolu à l’aide d’un lourd système d’équations différentielles, pour lequel il n’y aura pas de solution unique, mais plusieurs solutions avec la même probabilité d’être justes. Laquelle choisir ? De par leur expérience, les volcanologues jugent qu’une telle solution est très improbable, ou en contradiction avec d’autres données complémentaires, etc. Mais ce n’est pas entièrement fiable. Une situation similaire découle de la sismotomographie.  »

Les muons à la rescousse

Or, il n’existe qu’une seule réalité : au moment t, le Vésuve présente un très haut risque d’explosion ou il n’en présente pas. Afin de connaître cette vérité, les scientifiques cherchent des données complémentaires. La muographie, méthode expérimentale, pourrait aider à réaliser des prévisions plus précises.

Les muons sont produits par les rayons cosmiques primaires composés typiquement de protons qui filent à très grande vitesse à travers le cosmos. A chaque instant, et même si la densité de ces protons dans le vide du cosmos est très faible, certains entrent en collision avec les couches les plus externes de l’atmosphère de notre planète. Ces collisions, dites nucléaires, cassent les noyaux d’oxygène, d’azote et des autres gaz présents et génèrent des particules chargées appelées muons.

Alors que le flux naturel de muons est naturellement faible, il l’est encore davantage après que ces particules aient traversé l’épaisseur du volcan. « Plus il y a de rochers, moins les muons « survivent ». Ceux qui, après avoir traversé la profondeur d’un volcan, impactent le détecteur, continuent leur chemin selon une trajectoire. Dès leur, leur direction peut être aisément connue. C’est un énorme avantage dont les autres méthodes sont dénuées », explique le physicien du Centre for Cosmology, Particle Physics and Phenomenology de l’UCLouvain.

La trajectoire d’un muon capté par le détecteur est alors extrapolée à l’arrière de l’appareil pour savoir par où il est passé, l’épaisseur de rochers qu’il a traversée. A noter que, grâce notamment aux données satellitaires, les scientifiques disposent d’une carte 3D du Vésuve avec résolution d’un mètre : l’épaisseur des rochers dans chaque direction est connue.

Détecteur de muons © Mariaelena D’Errico / Université de Naples « Federico II »

Une collecte de données de longue haleine

« Ce qui est unique dans cette méthode c’est que le flux résiduel des muons qui ont traversé les rochers est obtenu avec une résolution spatiale énorme. Toutefois, ce flux est si faible qu’il faut des mois de détection pour avoir les premières données. Et probablement des années pour avoir une précision (d’environ 10 mètres) qui surpasse celles des méthodes traditionnelles. »

Les objectifs de MURAVES sont donc ambitieux sur le long terme. « Mais déjà sur le court terme, il sera possible de faire une combinaison statistique entre les données obtenues par les différentes méthodes. Chaque type de données étant grevé d’une incertitude statistique différente ; et certaines données étant plus informatives pour la surface du volcan (gravimétrie et muographie), et d’autres pour les régions plus profondes (sismotomographie). »

Les détecteurs à muons sont placés dans un conteneur (en vert), alimenté en électricité par des panneaux solaires. En bas à droite, le schéma représentant les quatre positions entre lesquelles les trois télescopes vont en rotation © Mariaelena D’Errico / Université de Naples « Federico II »

Trois détecteurs enrobés de plomb

Trois télescopes identiques ont été installés sur les flancs du Vésuve. Deux pointent vers le volcan alors que le troisième regarde le ciel libre. Cette astuce permet de comparer le flux de muons transmis à travers les rochers et celui qui existerait sans le volcan.

De plus, les détecteurs de MURAVES sont modulaires. Il est possible de démonter et de remonter leur partie active dans une autre position. « Il y a des rotations en alternance. Cela permet de se rendre rapidement compte d’une défaillance d’un détecteur, par exemple une efficacité inférieure à 100 % dans une région angulaire précise. Une telle défaillance se refléterait en une différence de densité dans cette région angulaire. La corriger au plus vite est crucial dans l’interprétation de l’analyse de données. On réduit ainsi l’incertitude. »

Aussi, un mur de plomb de 60 cm d’épaisseur est placé entre la troisième et la quatrième couche active de chaque détecteur. Et ce, afin de réduire drastiquement le bruit de fond.

Un mur de plomb de 60 cm d’épaisseur est placé entre la troisième et la quatrième couche active du détecteur à muons © Mariaelena D’Errico / Université de Naples « Federico II »
Schéma du détecteur à muons, avec les 4 couches actives et le mur de plomb © Mariaelena D’Errico / Université de Naples « Federico II »

Celui-ci n’est pas lié à l’électronique de l’engin, mais à l’énergie des muons. Si un muon est très énergétique en frappant le détecteur, sa direction en traversant le volcan est une bonne approximation de sa direction initiale. Mais cela n’est pas vrai dans le cas où le muon est doté d’une faible énergie : au lieu d’être rectiligne, sa trajectoire est déviée. Le mur de plomb joue le rôle de filtre, faisant en sorte que les muons les moins énergétiques ne soient pas détectés.

« Donc, un muon qui donne un signal complet dans le détecteur MURAVES est de facto énergétique. Sa trajectoire est une excellente approximation de sa trajectoire dans le mont Vésuve. Si cette solution fonctionne, elle est toutefois assez brutale, car elle détruit une partie du flux de muons. »

En haut à gauche, photo satellitaire du Vésuve. Les autres images sont des simulations réalisées lors du projet MURAVES © Mariaelena D’Errico / Université de Naples « Federico II »

Améliorer l’analyse de données

«  C’est ici qu’intervient mon équipe. Alors qu’actuellement les muons sont sélectionnés avec des critères de qualité très stricts, pourrait-on faire mieux en utilisant une intelligence artificielle ? C’est-à-dire accepter un peu plus de muons au niveau du détecteur, sans risque, car on arrivera à avoir une idée approximative de l’énergie des muons, et par là à faire la différence entre muons à la trajectoire rectiligne et bruit de fond. Cela peut améliorer la puissance statistique des données. Et donc obtenir plus d’informations au départ de la même quantité de données», poursuit le Dr Giammanco.

« Les membres de mon équipe, ainsi que trois collègues de l’Ugent, sont très engagés dans le groupe de travail « simulation » du projet MURAVES. Comme la précision attendue est énorme, il s’agit de réaliser numériquement tout ce que la nature fait. »

« Cela commence par la simulation des processus physiques produisant les muons. Ensuite, il faut simuler le passage des muons à travers les rochers du volcan. C’est un problème d’une certaine complexité numérique, avec énormément de subtilité. Ensuite, il arrive que les détecteurs loupent un muon ou en voient alors qu’il n’y en a pas. Cela aussi, il faut le simuler et le corriger. »

Une telle expertise en simulation est unique au niveau mondial. « Nous espérons que nos résultats futurs en simulation pourront être utiles à d’autres projets volcaniques en Italie, en France, au Japon, en Indonésie, en Afrique ou encore en Colombie », conclut Dr Giammanco.

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