La Grande Barrière de Corail australienne est en péril

Sombre avenir pour les coraux 

16 février 2022
par Laetitia Theunis
Durée de lecture : 5 min

Plus aucune équivoque sur ce point: le réchauffement climatique fait dépérir les coraux. Désormais, une étude du Pr Emmanuel Hanert (UCLouvain), révèle qu’un réchauffement de 2°C diminuera également les échanges de larves entre récifs coralliens de surface. Avec des échanges plus faibles et plus locaux, il faudra plus de temps aux récifs pour se remettre d’une perturbation et retrouver la couverture corallienne. Le brassage génétique permettant une adaptation aux plus hautes températures sera également fortement amoindri, de quoi rendre les coraux encore plus vulnérables aux perturbations futures.

Blanc, couleur mortifère

Quand le corail dépérit, il blanchit. En effet, stressé par une augmentation de la température de l’eau, il expulse ses zooxanthelles. Ces algues symbiotiques vivent dans ses tissus, lui donnant sa couleur, et lui procurent de précieux nutriments en échange du gîte.

Une étude récente révèle que le blanchissement a touché pas moins de 98 % de la Grande Barrière de corail depuis 1998, année du premier grand épisode de blanchissement contemporain. Depuis, on a assisté à  cinq épisodes de blanchissement massif, dont trois épisodes sans précédent lors des canicules de 2016, 2017 et 2020.

Ces événements ont transformé cet éden – les récifs coralliens abritent 30 % de la biodiversité marine connue, alors qu’ils ne représentent que 0,2 % de la superficie des mers -, en un damier de récifs aux histoires récentes très différentes.

De grandes voyageuses

Après un épisode de blanchissement, certains coraux récupèrent en parvenant à capturer des zooxanthelles de pleine eau et en les insérant dans leurs tissus. D’autres demeurent blancs et vivotent jusqu’à mourir d’inanition. Pour repeupler les récifs, il est essentiel que des larves d’autres coraux viennent s’implanter.

La majorité des coraux se reproduisent de manière sexuée. Les trois quarts des coraux libèrent, de façon synchrone, des ovules (gamètes femelles) et du sperme (gamètes mâles) dans l’eau, externalisant la fécondation. Cette ponte a généralement lieu une à deux nuits par an et ne dure que quelques heures.

Les larves qui en résultent, appelées planulas, rejoignent le plancton et sont transportées par les courants marins. Ce voyage peut durer plusieurs semaines voire plusieurs mois, leur permettant de parcourir des distances considérables. Favorisant un brassage génétique entre différentes localisations géographiques, essentiel pour que le récif puisse être résilient, notamment en cas de maladies et de blanchissement.

Modification des schémas de dispersion

Mais cela, c’était avant. Avant le changement climatique. C’est ce que tendent à démontrer les travaux d’Emmanuel Hanert, professeur en modélisation environnementale à l’UCLouvain. Il a créé un modèle biophysique à haute résolution (jusqu’à 200 mètres). Ses simulations ont été réalisées sur toute la Grande Barrière de Corail (longue de 2300 km et large d’en moyenne 200 km) dans les conditions climatiques actuelles et futures, soit avec un réchauffement de 2°C.

« Le modèle révèle qu’il y aura une diminution de 7 % de la distance de dispersion des larves des coraux de surface.  En effet, en plus de changer la dynamique des courants marins, le réchauffement accélère le métabolisme des larves, les rendant plus vite capables de se fixer sur un récif et réduisant leur durée de vie. Ces larves seront donc envoyées moins loin. Or, une diminution des échanges de larves sur de longues distances ralentira la migration de gènes adaptés aux températures élevées et diminuera de facto les capacités d’adaptation des populations de coraux de surface aux changements climatiques », explique Pr Hanert.

Chaque récif est relié à un certain nombre d’autres récifs via l’émission et la réception de larves. Outre la réduction de la distance parcourue par les larves, le modèle prédit une diminution de 8 % du nombre de connexions entre récifs.

« De plus, les simulations montrent une augmentation de 20 % de la rétention locale. Autrement dit, les larves produites sur un récif se fixeront davantage sur ce même récif. On pourrait croire que c’est une bonne chose que ces larves participent à repeupler le récif source, mais en cas de perturbation, le manque de renouveau génétique affectera ses capacités de récupération, le rendant encore plus vulnérable aux prochaines perturbations », poursuit le modélisateur.

Un déclin larvaire ubiquitaire

D’autres espèces voient les modèles de dispersion de leurs larves perturbés par le réchauffement des eaux. C’est le cas des crabes en Floride. « Dans un autre modèle, nous avons montré que sous l’effet du réchauffement et de l’acidification des eaux, leurs larves vivent moins longtemps et restent près du fond de l’eau. Du coup, elles vont moins loin. » L’impact de ce déclin de dispersion larvaire se fait déjà durement sentir sur l’industrie de la pêche au crabe en Floride.

Cet effet délétère pourrait également concerner les acanthasters, ces étoiles de mer grandes prédatrices de coraux. De quoi donner un peu de répit aux récifs, déjà si durement malmenés ? Pas vraiment. « Si une connectivité larvaire plus petite serait une bonne chose, des facteurs plus importants ne cessent de faire croître les populations d’acanthasters : les gigantesques apports de nutriments et d’engrais vers la Grande Barrière de Corail suite aux activités agricoles du Queensland. » L’avenir est résolument sombre pour les coraux.

Haut depage