Fuite des cerveaux? Le programme wallon Beware démontre le contraire

16 avril 2018
par Christian Du Brulle
Durée de lecture : 7 min

Ces quatre dernières années, 85 chercheurs de niveau supérieur au doctorat, issus de 34 pays, ont été « attirés » en Wallonie grâce au programme BEWARE, un  programme doté de 34 millions d’euros cofinancé par la Commission Européenne.

Un succès? Cet apport de cerveaux a procuré un avantage certain pour les institutions qui accueillaient ces chercheurs. Pour les scientifiques aussi, l’opération a été fructueuse. Le programme en question leur permettait de décrocher des contrats pouvant s’étendre jusqu’à 36 mois. Une perspective intéressante pour un chercheur en mobilité, plutôt confronté à des contrats plus courts.

Le programme BEWARE leur proposait de rejoindre soit un poste de R&D au sein d’une entreprise ou d’un centre de recherche (BEWARE Industry), soit un poste de chercheur au sein d’une université (BEWARE Academy). Dans ce cas, un quart du temps de travail du chercheur devait impérativement être consacré à un volet de recherche appliquée au sein d’une entreprise de la Région.

Le principal critère de mobilité à rencontrer était des plus limpides. Les chercheurs, de toutes les nationalités confondues, belge y comprise, pouvaient prétendre à une telle bourse, pourvu qu’ils n’aient pas passé plus de douze mois en Belgique au cours des trois années précédant le démarrage de leur contrat BEWARE.

Plébiscite des chercheurs

Les chercheurs qui ont bénéficié de ce programme soulignent l’accueil positif qui leur avait été réservé dans leur(s) institution(s) d’accueil, la qualité du travail qu’ils ont pu y livrer, la pertinence et l’adéquation entre leurs expertises et les besoins/les souhaits des partenaires wallons/FWB ainsi que les perspectives d’avenir que ce programme a ouvert.

Si certains ne resteront pas en Belgique au terme de cette expérience, d’autres ont décidé de passer quelques années de plus au sein des institutions qui les ont accueillis afin d’y développer de nouvelles recherches. On notera tout particulièrement l’effet boule de neige que ce programme a réussi à générer (voir plus bas, l’avis du directeur du CELABOR, un centre de recherche agréé en Wallonie).

Enfin, on notera que ce programme international a aussi permis à certains chercheurs belges partis à l’étranger de rentrer au pays, la tête bien faite, afin d’y poursuivre leur carrière. Cette dimension de «retour des cerveaux au pays» n’était pas une priorité du programme, mais bien une opportunité pour quelques chercheurs belges envisageant un rapatriement.

« Il est important de développer des expériences à l’étranger », souligne le Dr Rasquin, un chercheur belge qui a bénéficié de ce programme.

« Mais à un moment, l’envie de rentrer en Belgique survient. Pouvoir revenir en Belgique poursuivre sa carrière grâce à des bourses de type « BEWARE » constitue une très belle opportunité ».

Des entreprises plus performantes et ouvertes sur l’étranger

« Pour nos entreprises », explique Didier Paquot, Directeur du Département économie, R&D, affaires européennes de l’Union wallonne des Entreprises (UWE), « l’innovation prend une place des plus importantes. Les entreprises plus modestes n’ont pas nécessairement toujours les ressources de R&D en interne suffisantes pour développer leurs produits ou leurs services. Leur donner accès à des chercheurs de qualité et pendant une période longue est sans aucun doute un bel atout ».

« Le programme BEWARE leur permet de progresser et de se développer. Y compris à l’international. En favorisant la mobilité internationale des chercheurs, et en faisant venir dans les entreprises wallonnes des chercheurs étrangers, le programme BEWARE leur a permis de s’ouvrir davantage à des ressources et des marchés étrangers. On sait que les entreprises wallonnes sont plutôt frileuses par rapport à l’internationalisation de leurs activités. Nous avons donc ici un outil qui facilite ce genre de relations ».

Autre constat positif: les liens que ce programme a permis de renforcer au sein même de la Région entre les entreprises et les universités. « Des ponts qui ne sont pas nécessairement toujours évidents à mettre en place », souligne M. Paquot.

« Enfin, un programme de ce type offre aussi à nos entreprises un regard extérieur sur leurs propres activités. Il confronte également nos entreprises, par l’accueil de chercheurs en situation de mobilité, à de nouvelles cultures. Ce qui, dans certains cas, peut aussi se traduire par de nouveaux partenariats, ou encore la participation à d’autres programmes européens/internationaux ».

Le secteur académique satisfait

« On pense trop souvent que la recherche fondamentale propre au secteur académique et la recherche plus appliquée ne sont pas interpénétrables », estime le Pr Serge Schiffmann, vice-recteur à la recherche de l’Université libre de Bruxelles. « C’est une erreur. Cette frontière est poreuse. Les universités, dans leurs missions de service à la société, en sont bien conscientes. Dans le contexte du programme BEWARE, la Région wallonne a joué un vrai rôle de passerelle entre cette recherche appliquée et la recherche plus fondamentale située en amont. Ce programme a permis de mettre ensemble une triplette d’acteurs de profils différents pour le bénéfice de chacun ».

« Ce programme concerne au premier chef les chercheurs. Il a été bénéfique à leur carrière », continue-t-il. « Il a également fait appel aux universités, ce qui est bon pour le développement de nouvelles connaissances. Mais aussi pour la mise en pratique de ressources, de connaissances plus fondamentales. Enfin le troisième acteur n’est autre que le monde de l’entreprise qui attend des résultats précis de la recherche. Cet outil, ce programme, a donc réussi à faire le lien entre ces trois dimensions. Ce qui a été bénéfique pour chacun. Notons aussi que ce programme était aussi utile que réactif. Ce qui lui confère un attrait supplémentaire. »

Une plus-value pour les centres de recherche agréés

Yves Houet, Directeur Général de CELABOR pointe, entre autres, l’intérêt de ce programme pour le développement de son Centre. Le CELABOR est un Centre de recherche agréé de la Région Wallonne employant 48 personnes et qui est spécialisé dans les domaines de l’agroalimentaire, l’extraction végétale, l’emballage et l’environnement.

« Ces chercheurs nous ont apporté non seulement leur savoir-faire technique et scientifique »,  analyse Yves Houet, « mais ils sont aussi arrivés avec leur réseau. Ce qui a clairement été une plus-value dans notre cas. Comme ces chercheurs ont aussi une fibre entrepreneuriale et une vision plus internationale, ils ont pu mettre à profit leurs ressources, notamment au niveau européen, pour développer de nouveaux contrats pour le CELABOR ou pour initier notre participation à de nouveaux projets de recherche européens ».

Bonne opération pour la Commission européenne

« Ce programme cofinancé par la Commission européenne, et qui est, en priorité, lié à la mobilité internationale des chercheurs, a clairement atteint son but», indique de son côté le Dr Alan Craig, en charge du programme COFUND de la Commission au sein de la « Research Executive Agency » (le bras exécutif de la Commission européenne).

« Cette mobilité a été basée sur des standards européens de qualité et de moyens pour tous les chercheurs concernés, quelles que soient leur origine et leur discipline. Ces standards ont été appliqués à l’ensemble des chercheurs, notamment en matière de rétribution (pour rappel, la Commission a consacré 14,5 millions d’euros au programme BEWARE) ».

« Avec 85 chercheurs attirés en Wallonie, cette Région a fait bien mieux qu’un pays voisin doté du même genre d’instrument, mais où deux candidats seulement ont été engagés », a-t-il souligné. « Grâce au programme BEWARE, la Wallonie a rencontré clairement le triple objectif que le Commission entend promouvoir avec ses programmes de cofinancement en matière de mobilité des cerveaux: favoriser les dimensions internationales, interdisciplinaires et intersectorielles de la Recherche et de ses retombées.

« Cette triple approche est désormais devenue la norme en matière de programme de cofinancement européen. Une philosophie parfaitement en ligne avec les réalités de terrain observées en Wallonie».

Haut depage