La communication olfactive des animaux et des végétaux menacée par le changement climatique

17 mai 2022
par Laetitia Theunis
Durée de lecture : 5 min

Qu’ils soient terrestres ou aquatiques, des eaux douces ou salées, animaux et végétaux parlent avec des odeurs. Cette communication chimique joue un rôle essentiel dans les écosystèmes, permettant aux organismes de s’accoupler, d’interagir les uns avec les autres, de localiser les prédateurs, de la nourriture et des habitats. « Or, l’augmentation de la température et de la teneur en CO2 dans l’air et dans l’eau, ainsi que la hausse de l’acidité des eaux prévues d’ici la fin du siècle impacteront toutes les étapes de la communication olfactive. C’est-à-dire la production et l’émission d’odeur par l’animal ou le végétal, la transmission de celle-ci dans l’air ou dans l’eau, et enfin sa perception et son interprétation par un autre organisme », explique François Verheggen, professeur de zoologie à Gembloux Agro-Bio Tech (ULiège).

Les différentes étapes de la communication olfactive sont impactées par le changement climatique © Roggatz C. et al.

Inhibition du comportement de fuite

Lorsqu’il est mâchouillé par une coccinelle, le puceron émet une phéromone d’alarme pour signaler l’attaque à ses congénères. Dès que ceux-ci détectent cette odeur, ils prennent leurs pattes à leur thorax et fuient la plante dont ils étaient en train de déguster la sève. Ceci, c’est le scénario actuel, par 420 ppm de CO2 dans l’atmosphère.

Au laboratoire, l’équipe du Pr François Verhegen a testé un scénario probable du futur. Pour ce faire, des pucerons ont été placés sous 800 ppm de CO2, c’est-à-dire dans les conditions atmosphériques que notre planète devrait connaître d’ici la fin de ce siècle selon les prévisions du GIEC.

« On a constaté que les pucerons du pois produisaient alors 12% de moins de leur phéromone d’alarme que sous la concentration de CO2 témoin. Et que cela entraînait la libération de 35% de phéromones en moins en cas d’attaque par un prédateur. Si la capacité des pucerons à percevoir la phéromone d’alarme, quant à elle, n’était pas affectée par le CO2, le comportement de fuite des pucerons qui y étaient exposés était toutefois inhibé. Cela a été démontré pour différentes espèces de pucerons. »

Larve de coccinelle dévorant un puceron

Milieux aquatiques impactés

« En doublant la quantité de CO2, les pucerons produisent moins de phéromones et, en plus, ils y réagissent moins bien. Autrement dit, dans un cas hypothétique où ils recevraient une quantité normale de phéromones, ils sentiraient l’alarme, mais ne fuiraient pas, tomberaient moins de la plante, courraient moins dans tous les sens. Cette perturbation de la communication chimique par les odeurs a aussi été observée par des collègues travaillant sur des écosystèmes d’eau douce et d’eau salée », précise Pr Verhegen.

Le changement climatique et la modification de la chimie de l’eau à l’échelle mondiale entraînent des menaces d’acidification qui peuvent perturber l’échange d’informations chimiques entre les organismes d’eau douce et marins.« En eaux salées, des collègues ont démontré que le message envoyé est souvent composé de plusieurs molécules. Lorsque le pH est modifié, alors que certaines de ces molécules sont favorisées, d’autres sont défavorisées. C’est-à-dire que le message global change. En effet, un cocktail d’odeurs, c’est comme une phrase composée de plusieurs mots. Si certains mots sont modifiés, le sens de la phrase, le signal global, en est modifié. Avec comme conséquences que la communication est brouillée. »

Les poissons utilisent des signaux chimiques pour la communication tant entre individus d’une même espèce qu’avec les autres espèces, notamment pour éviter les prédateurs. Une diminution de pH réduit le comportement anti-prédateur des poissons juvéniles et diminue leur niveau d’anxiété envers les prédateurs potentiels.

Moins bonne communication entre coccinelles

Risque-t-on dès lors assister, à la fin de ce siècle, à une envolée des prédations et à un déclin des populations de proies ? Dans l’état actuel des connaissances, c’est difficile à dire. Par exemple, « en parallèle de l’inhibition du comportement de fuite des pucerons dans un milieu enrichi en CO2, peut-être vont-ils trouver plus facilement une plante hôte, car davantage d’odeurs seront émises par celle-ci ou qu’elle portera plus loin. C’est à étudier ! », explique l’entomologiste.

Par ailleurs, les coccinelles se séduisent et s’accouplent à l’aide d’odeurs. S’il a été montré que les larves de coccinelles, grandes prédatrices de pucerons, produisent deux fois plus d’informations olfactives sous 25°C que sous 15°C, les changements soudains de température environnementale accélèrent toutefois la désintégration des phéromones. Et réduisent leur détectabilité par les insectes en raison de l’activation perturbée des récepteurs olfactifs. Ces perturbations de la communication chimique peuvent dès lors entraîner une réduction de la capacité des individus à se localiser à distance et à identifier des partenaires potentiels. Et par là, une diminution de l’abondance de ces prédatrices de pucerons.

« Avec le changement climatique, les interactions olfactives entre animaux, entre végétaux et entre animaux et végétaux vont être modifiées. Et ce, tant chez les espèces hébergées sur terre que sous l’eau. Mais davantage de recherche est nécessaire pour comprendre la complexité des interactions olfactives et appréhender les conséquences de cette altération globale de la communication», conclut Pr François Verheggen. Notamment sur les services écosystémiques fondamentaux qui rendent notre planète habitable et la sécurité alimentaire. En effet, la pollinisation assurée par des insectes garantit près de 75 % de l’alimentation de l’humanité…

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