Profiling géographique
Profiling géographique

L’analyse géographique comme outil de profiling criminel

13 juin 2014
par Christian Du Brulle
Durée de lecture : 6 min

Ces dernières années, les « experts » se taillent une belle part des temps d’antenne à la télévision. Ces séries policières les ont propulsés sur le devant de la scène. Dans la « vraie vie », les profileurs restent loin des feux de la rampe. Comme Danièle Zucker, en Belgique.

 

Cette docteur en psychologie clinique et licenciée en philosophie de l’Université Libre de Bruxelles travaille à la demande pour la Justice. Elle est appelée à la rescousse quand un dossier criminel est dans l’impasse. « Je suis mandatée par le juge d’instruction mais c’est parfois à la demande de la police » précise-t-elle d’emblée. « C’est très important parce que j’ai besoin d’avoir accès à toutes les pièces du dossier judiciaire pour pouvoir travailler.

 

Son travail, scientifique, consiste à dresser un profil et non à livrer le nom de suspects potentiels. « Le profiling se situe à la croisée de la psychologie, de la criminologie et de la sociologie », dit-elle. « Il ne permet pas, a priori, d’identifier formellement l’auteur de faits criminels mais plutôt d’en dresser le profil le plus probable possible et d’ainsi orienter l’enquête vers de nouvelles pistes ».

 

Le profiling géographique de Kim Rossmo

 

"Profiling", par Danièle Zucker, Editions Racine.
« Profiling », par Danièle Zucker, Editions Racine.

Le profileur s’intéresse à tout. Y compris à la dimension spatiale des affaires non élucidées. Dans le livre « Profiling, comment le criminel se trahit », où Danièle Zucker détaille divers volets de ses activités, Roy Hazelwood, ancien agent spécial du FBI salue le chapitre consacré au profiling géographique.
Il s’agit « d’un instrument relativement nouveau dans la boîte à outils de l’investigateur criminel », souligne dans la préface celui qui fut le « père » du profiling.

 

Développé par Kim Rossmo, criminologue et membre de la police canadienne, le profiling géographique est désormais utilisé dans certaines enquêtes en Europe et en Amérique du Nord. Y compris chez nous. Une technique en pleine évolution ? « C’est effectivement une autre facette de notre travail », concède Danièle Zucker.

 

 

Renforcer le degré de cohérence de l’ensemble de l’analyse

 

Définir l’espace géographique fréquenté par le criminel recherché peut être d’une aide précieuse. Ce que Kim Rossmo a élaboré est un programme informatique spécialisé qui permet de conceptualiser le lieu de résidence potentiel d’un criminel, ou ses « zones de confort ».

 

« Ce logiciel est basé sur une théorie qui décrit les comportements spatiaux des gens en général », explique Danièle Zucker. « Il tient compte de certaines constantes dans le comportement type d’une population. Comme la loi du moindre effort. Si vous ou moi devons nous rendre d’un point A vers un point B, juste derrière le coin d’un bloc d’immeubles par exemple, nous allons très certainement choisir le chemin le plus court, le plus simple, le plus confortable. Pour le criminel, c’est la même chose ».

 

Diverses autres variables entrent en ligne de compte. Elles sont pondérées par des informations complémentaires. Il peut s’agir d’informations temporelles, les caractéristiques du site (une zone habitée, une rue, un parking, la proximité d’une route ou d’une autoroute…), le type de crime (homicide, sexuel, …).

 

Toute une série d’informations issues du profil dressé préalablement nourrissent également la formule de Rossmo. Ces données doivent nécessairement être cohérentes entre elles. « Chaque variable doit renforcer le degré de cohérence de l’ensemble de l’analyse », précise Danièle Zucker.

 

Identifier des « zones de confort »

 

« Nous délimitons de la sorte ce que nous appelons les zones de confort du criminel. Celles où il se sent bien parce qu’il connaît parfaitement l’environnement. Cerner cette zone apporte à son tour certaines informations sur la ou les personnes recherchées ».

 

« Dans la majorité des cas, les primo-criminels ne sortent que très rarement de leur zone de confort pour commettre leur crime », explique le Dr Zucker. « Un primo délinquant ne va sans doute pas commettre son crime dans un endroit qu’il ne connaît pas bien. Il préférera maitriser son environnement, connaître les éventuels chemins de fuite ».

 

« Par contre, les récidivistes, s’ils sont suffisamment organisés, sortent plus aisément de leur zone de confort. Pour renouveler leur vivier de victimes potentielles, par exemple. Dans un cas comme dans l’autre, le choix du lieu du crime répond à une série de critères dans le chef du criminel. Cela n’a rien d’un hasard. Pour nous, ces informations ont un intérêt certain. »

 

Ecoutez Danièle Zucker expliquer qu’il existe plusieurs zones de confort potentielles pour un criminel.

Pour les analystes, la dimension géographique est « scientifiquement » intéressante. « Comme la distribution spatiale des crimes n’est pas aléatoire, il existe donc un moyen de la calculer, indique l’analyste. « Le lieu révèle donc certaines informations sur l’auteur. C’est comme cela que nous nourrissons, entre autres, le modèle géographique ».

 

Intéressant pour les affaires en série

 

« Le profiling géographique prend tout son sens si plusieurs lieux de crime, imputable à un même auteur, ont été identifiés par les enquêteurs », estime la psychologue. L’idéal se situerait entre trois et sept lieux différents pour que le profiling géographique soit le plus efficace.

 

« Les informations les plus précieuses proviennent alors du premier lieu où un crime a été commis », précise Danièle Zucker. « Encore faut-il qu’il soit identifié comme tel. Nous ne sommes jamais certains qu’il s’agit bien du tout premier événement imputable à un même suspect… »

 

Quels résultats palpables cette approche géographique livre-t-elle aux enquêteurs ? Quand le modèle est alimenté avec toutes les informations pertinentes disponibles, l’ordinateur sort une carte colorée. Chaque pixel de l’image affiche une nuance de couleur permettant d’identifier les zones de résidence potentielles les plus probables de la personne recherchée.
A l’Université de Liège, le laboratoire de géomatique s’intéresse aussi à cette méthode d’aide à l’enquête. La collaboration avec les services de la police fédérale (Service centralisé des analystes opérationnels) se concentre sur divers aspects plus techniques.

 

 

Un art ou une science ?

 

En Europe, diverses équipes universitaires apportent chacune leurs compétences dans ce domaine : l’University College de Londres, l’université d’Amsterdam ou encore celle de Rouen, en France. Les échanges avec Kim Rossmo sont fréquents, comme en ce mois de juin, lors d’un colloque spécialisé aux Pays-Bas.

 

Ce qui suscite une question… Le profiling est-il un art ou une science ? Danièle Zucker y a longuement réfléchi. « Je pense qu’on peut dire qu’il s’agit d’un art. Un peu comme l’art de guérir pour les médecins. Mais dans les deux cas, cet art se nourrit d’une approche scientifique ».

 

Ecoutez sa réflexion sur la question de la dualité en l’Art et la Science.

Il reste encore à s’interroger sur l’efficacité intrinsèque du profiling, en ce compris sa dimension géographique. Est-elle démontrée ? Dans les séries télés, c’est évident : les profileurs gagnent toujours. En Belgique, le succès est parfois au rendez-vous. « Au FBI, l’efficacité de cette démarche livre 77 % de résultats positifs. A la Sûreté du Québec, on arrive à 80 % », conclut Danièle Zucker.

 

 

L’Avant-Garde

Magazine L'Avant-Garde du journal L'Echo (14 juin 2014)
Magazine L’Avant-Garde du journal L’Echo (14 juin 2014)

Le magazine l’Avant-Garde, livré ce samedi 14 juin avec le journal L’Echo vous en dit (encore) plus sur Danièle Zucker et son activité d’analyste du comportement criminel.

Tout comme il vous propose aussi de découvrir 19 autres projets innovants et insolites lancés par des entrepreneurs belges.

 

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