Les musées, lieux de culte du XXI siècle

19 juin 2014
par Raphaël Duboisdenghien
Durée de lecture : 4 min
Le culte des musées par François Mairesse, collection «L’Académie en poche», 5 euros en version papier, 3,99 euros en numérique
Le culte des musées par François Mairesse, collection «L’Académie en poche», 5 euros en version papier, 3,99 euros en numérique

Visiter un musée est devenu un must. Le Professeur François Mairesse s’interroge sur les similitudes que l’on observe entre fréquenter des musées et des églises ou des temples. L’ancien directeur du Musée royal de Mariemont, devenu professeur à l’Université Sorbonne Nouvelle Paris 3, relate ses réflexions dans «Le culte des musées», de la collection «L’Académie en poche».

 

«Une partie considérable de la fréquentation des musées est composée de touristes. Cette pratique peut parfois être assimilée à un pèlerinage. Parmi les autochtones, on retrouve dans la population des fidèles de toutes les classes sociales et tous les âges, mais dans des proportions variables. Le public des musées, comme souvent celui des églises, est plus âgé que la moyenne de la population. Tandis que les classes sociales supérieures et les plus diplômées sont encore surreprésentées, confirmant l’analyse de Bourdieu un demi-siècle plus tôt. Même si les efforts en matière de politique culturelle ont permis d’approcher des publics qui n’auraient pas, sans cela, franchi les portes de ces établissements.»

 

La Joconde en 23 secondes

 

Aucune enquête n’est parvenue à explorer parfaitement les motifs profonds qui incitent près de 190 millions d’Européens à visiter, au moins une fois par an, un musée ou une exposition… «Les raisons qui poussent les fidèles à fréquenter les autres lieux de culte ne sont pas toujours non plus des plus certaines», réplique le membre de la Classe technologie et société de l’Académie royale de Belgique, président du comité international pour la muséologie du Conseil international des musées. «Nombreux viennent par habitude, par obligation, pour des raisons esthétiques ou sociales. Les raisons principales qui ont longtemps été données par les pratiquants du musée portent sur l’éducation. Venir au musée pour apprendre est la réponse qui est évoquée le plus régulièrement au détour des enquêtes.»

 

Depuis le XIXe siècle au moins, des témoignages comparent la pratique du musée à celle des églises. En Belgique, il existerait une tradition liant la première visite au musée à la première communion chez les catholiques. La messe dominicale et la visite muséale.

 

«Ce n’est cependant qu’à partir des années 1980 que le culte des musées gagne largement en popularité. Et sa fréquentation, surtout celle des plus grands édifices, se multiplie en quelques années. Tandis que le nombre de lieux de culte explose. Aujourd’hui, le temps médian passé par un visiteur pour observer l’une des œuvres les plus connues au monde, la Joconde, est de 23 secondes.»

 

Des rapprochements surprenants

 

À partir d’une recherche sur l’histoire des musées et d’une observation constante de ces lieux, François Mairesse relève des rapprochements parfois surprenants. Comme pour les autres lieux de culte, le seuil du musée et son entrée monumentale marquent la séparation entre le monde extérieur profane et les espaces sacrés. L’architecture, en particulier celle des musées construits au XIXe siècle, est inspirée par les palais, les temples grecs ou les cathédrales chrétiennes. Les «ne pas toucher», «ne pas parler fort» induisent une attitude de respect. Seuls des officiants ont le droit de manier les objets.

 

Visiter des expositions est le principal rite au sein du musée. De parfaits dévots, voire des grenouilles de bénitier, assistent à tous les vernissages. Le phénomène de déambulation lente est particulièrement visible dans les musées d’art. Les fidèles y adoptent une attitude de contemplation devant les objets. Leurs mains tiennent souvent un catalogue, une sorte de missel. Les musées de science ou d’ethnographie apparaissent plutôt comme le théâtre de pratiques de lecture et de concentration.

 

«Ces dernières années, la construction de nouveaux très grands lieux de culte semble avoir entraîné des modifications au niveau des pratiques culturelles elles-mêmes», observe l’académicien. «Curieusement, le parcours ambulatoire semble avoir été privilégié au détriment de la présentation des objets. La gestion des flux d’adeptes s’en retrouve ainsi facilitée. De facto, l’architecture du lieu a pris une place prééminente, au point d’être appréciée comme objet de contemplation à part entière.»

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