Si on ajoutait une dose d’intelligence stratégique dans nos labos ?

9 octobre 2014
par Christian Du Brulle
Durée de lecture : 5 min

Dans le secteur industriel, l’intelligence stratégique (« IS ») est une démarche vieille comme le monde. Pour assurer toutes les chances de succès ou de développement d’une entreprise, il convient de surveiller la concurrence, d’aller à la pêche aux bonnes idées, de protéger ses propres atouts. En matière de recherche académique, l’intelligence stratégique aurait encore pas mal de chemin à faire.

 

« Depuis quelques années, la Wallonie a intégré cette démarche dans sa politique économique via l’Agence de Stimulation Economique », explique Dominique Dieng, spécialiste en management, en marketing et désormais aussi en intelligence stratégique.  « Il s’agit pour les entreprises wallonnes de se développer en s’inspirant d’une méthode reposant sur trois piliers: la veille (« informationnelle »), la protection de l’information sensible pour l’entreprise et l’influence qu’elle peut avoir sur le monde extérieur. En ce qui concerne la recherche académique et les centres de recherches, cela devrait être la même chose ». Pour les convaincre de l’attrait de cette démarche, Dominique Dieng vient d’organiser un colloque sur cette thématique.

 

"Intelligence Stratégique. Guide pour la Recherche et l'Innovation", par Dominique Dieng. Presses universitaires de Namur. 21 euros.
“Intelligence Stratégique. Guide pour la Recherche et l’Innovation”, par Dominique Dieng. Presses universitaires de Namur. 21 euros.

Dominique Dieng, par ailleurs attachée au Service de politique stratégique de l’Université de Namur, est également l’auteure d’ « Intelligence stratégique, Guide pour la Recherche et l’Innovation », un livre sur le sujet tout juste publié par les Presses universitaires de Namur.

 

Deux axes pour implémenter l’IS dans les universités

 

La situation est cependant loin d’être aussi limpide dans les universités de la Fédération Wallonie-Bruxelles qu’en ce qui concerne les entreprises. « Même si souvent, comme c’est le cas à l’Université de Mons, on faisait déjà de l’intelligence stratégique sans le savoir », indique le Pr Philippe Dubois, vice-recteur à la Recherche de l’UMons. Ce docteur en science spécialisé dans les matériaux implémente depuis cinq ans cette démarche d’IS au sein de son institution.

 

« Mes collègues y sont réceptifs », dit-il. « Mais ils ne la pratiquent pas nécessairement ». Au niveau de l’université, le vice-recteur agit donc à deux niveaux pour développer le réflexe d’intelligence stratégique. Au niveau du rectorat tout d’abord, et on parle alors de gouvernance, mais aussi dans son propre laboratoire de recherche. « Il me semble normal d’effacer les informations inscrites sur un tableau quand on quitte une salle de réunion », souligne-t-il de manière anecdotique. « C’est cela aussi la protection des données stratégiques », précise le chimiste, qui est également directeur scientifique du centre de recherche agréé wallon « Materia Nova ».

 

 Fédérer des chercheurs d’horizons différents

 

Dorothée Goffin (Gembloux Agro-Bio-Tech / ULg) pratique aussi l’IS depuis quelques années. Notamment dans le cadre d’un projet de Spin-off. Son constat, en ce qui concerne le monde académique, va dans le même sens que celui du Pr Dubois : « les chercheurs commencent à adopter cette démarche d’Intelligence stratégique, mais cela ne se fait pas encore de manière optimale », dit-elle.

 

A Mons, l’Université a pris diverses initiatives pour implémenter de manière plus structurelle cette démarche dans son fonctionnement. « En marge des Facultés, nous avons créé une dizaine d’Instituts », explique le Pr Dubois. « Ceux-ci permettent de fédérer des chercheurs d’horizons divers et de faciliter la communication entre eux. Quand on parle d’Intelligence stratégique, la veille informationnelle ne concerne pas uniquement ce qui se passe hors de l’institution ».

 

Les bonnes décisions au bon moment

 

Pourquoi adopter cette démarche issue du monde de l’entreprise dans des laboratoires académiques ? Aux yeux de Clarisse Ramakers, de l’Agence de stimulation économique, les atouts sont clairs. « Les entreprises qui ont opté pour l’IS sont plus efficaces », dit-elle. La bonne gestion de l’information réellement utile permet de prendre les bonnes décisions au bon moment ».

 

Qui plus est, l’adoption de cette démarche ne serait pas hors de prix. “L’intelligence stratégique passe par l’intégration d’outils qui existent déjà”, conclut Dominique Dieng. “Cette intégration ouvre la porte à une plus grande efficacité et de nouveaux partenariats”. Pourquoi s’en priver ?

 

 

Les trois piliers de l’IS
 

Veille stratégique. Il s’agit d’une surveillance de l’information stratégique susceptible d’intéresser le chercheur (ou l’entreprise). Elle peut porter sur les appels à projets, le financement de la recherche, les projets d’équipes concurrentes ou… sur le travail de collègues au sein de la même institution avec lesquels un partenariat apporterait une plus-value commune. Le défi de ce pilier repose sur le tri pertinent de la masse d’informations disponibles.
Protection. Eviter les « fuites » d’informations importantes propres à l’entreprise ou au laboratoire, au groupe de recherche est indispensable, sans pour autant tomber dans une certaine paranoïa. Les locaux, les systèmes informatiques, les publications, les projets, les résultats de recherche qui doivent rester confidentiels nécessitent certaines mesures en interne mais aussi lors de déplacements ou lors de l’accueil de visiteurs.
Influence.  Différents angles sont envisageables, dont le lobbying, « qui n’est qu’un sous-ensemble de l’intelligence stratégique », précise Dominique Dieng. Cette influence au bénéfice de la (sa) recherche peut passer par des contacts directs et privilégiés avec certains interlocuteurs, ses réseaux « physiques » de relations mais aussi par sa présence sur les réseaux sociaux.

 

 

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