Évaluer la recherche: complexe, nécessaire et difficile

6 juin 2016
par Christian Du Brulle
Durée de lecture : 4 min

Évaluer la recherche, c’est bien entendu évaluer les chercheurs. L’exercice est délicat, source de tensions, de satisfactions, et, quand l’évaluation est liée à un financement potentiel, de frustrations lorsque le budget échappe à celui ou celle qui le sollicitait.

 

À l’Université Libre de Bruxelles (ULB), dans le cadre des séminaires Ilya Prigogine «Penser la science », deux journées ont été consacrées à ces questions d’évaluation de la recherche. Deux journées riches en interventions.
 

L'évaluation de la recherche en question(s), actes du colloque "Penser la Science", Editions de l'Académie.
L’évaluation de la recherche en question(s), actes du colloque « Penser la Science », Editions de l’Académie.

Le recueil de ces interventions est désormais disponible aux Éditions de l’Académie. Il se présente sous forme d’un ouvrage digital disponible gratuitement Il est proposé sous forme de mémoire de la Classe des Sciences.

 
Une mutation axée sur l’économie de la connaissance

 

« Évaluer la recherche est difficile parce qu’il existe une grande diversité de chercheurs et de disciplines, ou encore de pratiques et d’objectifs de recherche », y rappelle d’emblée le Pr Edwin Zaccai (ULB), coorganisateur de ces rencontres.

 

L’exercice est également délicat parce que la recherche est aujourd’hui en pleine mutation. « On assiste aux transformations d’un modèle plus ancien de production scientifique vers celui d’une économie de la connaissance », pointe le Pr Isabelle Stengers (ULB). Sans parler de l’interdisciplinarité, de l’internationalisation…

 
Le bien-être du chercheur

 

Outre l’état des lieux des méthodes d’évaluation, de leur pertinence ou encore des perspectives d’avenir dans ce domaine, on n’échappe pas à la question du « bien-être » des chercheurs dans ce contexte.

 
Bernard Fusulier , professeur de sociologie à l’Université Catholique de Louvain (UCL) et Maître de recherches F.R.S.-FNRS envisage la condition des chercheurs et chercheuses dans leurs différentes dimensions de vécu, y compris familiales. Son analyse décrit les modalités du régime «comptable-productiviste» de l’évaluation de l’excellence, et se clôt sur l’évocation d’une «alter-excellence ».

 

La « désexcellence des universités » est exactement ce que propose un collectif de chercheurs, le Lac (L’atelier des chercheurs). Ce collectif met en lumière certains malaises ressentis par la communauté scientifique face à l’emballement productiviste de la recherche. « Le LAC expose avec provocation et humour la méthode BvLM, pour « Beaucoup, vite, Loin, Mal », souligne le Pr Zaccai.

 

La bibliométrie mise à l’index

 

La multiplication des indicateurs de la recherche a bien entendu tenu une place importante tout au long de ces séminaires. L’un de ces indicateurs ne plaît guère au Pr Jean-Pierre Bourguignon, président du Conseil Européen de la Recherche (ERC).

 

« Je suis extrêmement circonspect sur la pertinence de la bibliométrie pour donner une bonne information sur des dossiers individuels alors qu’il est déjà évident qu’elle ne peut pas donner d’information sur le projet soumis. Par ailleurs, les pratiques en matière de publication varient considérablement d’une sous-discipline à l’autre, rendant toute information comparative entre domaines peu fiable», estime-t-il.

 

Ainsi, les publications des mathématiciens sont nettement moins nombreuses que celles des biologistes, par exemple. Aussi, évaluer un chercheur ou une chercheuse en mathématiques sur la base du nombre de ses publications n’est pas un critère d’évaluation fiable…

 

Mais le Pr Bourguignon tempère : « Cela peut être différent lorsqu’on considère les performances d’un pays, voire d’un groupe d’institutions ou d’un programme à cause des phénomènes de compensation », indique-t-il, dans le FNRSnews de septembre 2015, qui consacrait également un dossier à l’évaluation de la recherche.

 

Une autre évaluation est-elle possible?

 

Les instruments d’évaluation passés au crible, l’analyse de leurs richesses et de leur faiblesse étant déterminés, la volonté, le constat de la nécessité d’évaluer en permanence la recherche et les chercheurs étant posés; il ne restait plus qu’à envisager la construction d’un système d’évaluation alternative.

 

Deux chercheurs de l’université de Toulouse, Maryse Salles et Gabriel Colletis s’y sont risqués. « L’évaluation actuellement dominante peut apparaître comme difficile à remettre en cause, et la promotion d’une évaluation alternative comme un long combat », écrivent-ils.

 

« Il conviendrait de se centrer sur le niveau des principes, et peut-être, plus secondairement, sur quelques normes. La démarche que nous proposons consiste à identifier, par un travail collectif, les principes verrous qui ont provoqué des irréversibilités dans la mise en œuvre de l’évaluation actuelle, et les principes leviers (très structurants) qui seraient le mieux à même de fonder l’évaluation alternative.

 

À noter encore : cette proposition, de même que les autres exposés présentés lors des deux journées de ce séminaire sur l’évaluation de la recherche ont été enregistrés. Ils sont disponibles sur le site de « Penser la science ».

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