Dévalorisées, des Iraniennes mobilisent des stratégies sans précédent

26 octobre 2016
par Raphaël Duboisdenghien
Durée de lecture : 4 min

En République islamique d’Iran, des femmes luttent contre leur relégation dans une position de citoyennes de seconde zone. La sociologue belge d’origine iranienne Firouzeh Nahavandi met en évidence la complexité de leur situation dans «Être femme en Iran» de la collection «L’Académie en poche».

 

«Il fallait être femme et Iranienne, avoir connu l’ancien régime et le nouveau, maîtriser parfaitement la langue, pour concevoir cet ouvrage», souligne Hervé Hasquin, secrétaire perpétuel de l’Académie royale de Belgique. «C’est au scalpel que madame Nahavandi analyse les textes et les comportements.»

 

L’ayatollah Khomeiny détricote les droits des femmes

 

"Etre femme en Iran", par le Pr Firouzeh Nahavandi, sociologue, ULB (L'Académie en poche).
“Etre femme en Iran”, par le Pr Firouzeh Nahavandi, sociologue, ULB (L’Académie en poche).

L’ancien régime, de 1925 à 1979, est favorable aux femmes. Dès son ouverture en 1936, l’Université de Téhéran admet des étudiants des deux sexes. En 1963, les femmes obtiennent le droit de vote et d’éligibilité. En 1967, le droit de divorcer et d’avoir la garde des enfants. L’âge du mariage pour les filles est porté de 13 à 18 ans. Les femmes peuvent devenir juges. Siéger au Parlement.

 

Après s’être investies dans la lutte anti-shah, les Iraniennes déchantent avec la venue au pouvoir de l’ayatollah Khomeiny en 1979. Elles ne peuvent plus être magistrates. Seuls les hommes ont la prérogative de divorcer. L’âge du mariage est rabaissé à 13 ans et, avec l’autorisation d’un juge, une famille peut marier sa fillette plus tôt. Pour le Guide suprême, «Les femmes musulmanes ne sont pas des poupées. Elles doivent sortir voilées et ne pas se maquiller.» Des femmes manifestent à Téhéran. Scandent «Liberté, égalité, c’est notre droit».

 

«L’euphorie révolutionnaire céda la place à des lendemains tristes et à des lois discriminant les femmes», constate Firouzeh Nahavandi, professeure en sciences sociales à l’Université Libre de Bruxelles (ULB). «Elles se rendirent rapidement compte que la République islamique ne leur accorderait pas la place qu’elles entendaient avoir et qu’elles devaient faire face à une double contrainte. Celle de l’autoritarisme et celle du patriarcat.»

 

Une femme vaut la moitié d’un homme

 

La discrimination à l’égard des Iraniennes se reflète dans la Constitution ainsi que dans les codes civil et pénal. C’est la famille qui est au centre de l’attention de la République islamique. Les dispositions dans le mariage donnent automatiquement l’autorité aux hommes qui ont droit à la répudiation. La possibilité d’un mariage temporaire permet la libre expression du désir masculin. La femme a besoin de l’autorisation de son mari pour travailler hors du milieu familial. Sa part d’héritage est inférieure à celle de l’homme. C’est la consommation du mariage et non le contrat qui lui donne le droit d’hériter. Lors d’un témoignage juridique, la parole d’une femme vaut la moitié de celle d’un homme. Quand elles apparaissent en public sans le vêtement islamique, les femmes sont punies d’une peine d’emprisonnement de 10 jours à 2 mois ou d’une amende.

 

«Le voile leur est imposé, mais les Iraniennes essaient de contourner cette obligation avec beaucoup d’habileté. L’inégalité au sein des ménages leur est imposée, mais cela les entraîne à mobiliser des stratégies de préservation et de résistance sans précédent. La situation économique les touche au plus haut degré. Elles vont trouver des stratégies de survie. Certaines doivent combattre quotidiennement la pauvreté. La prostitution est devenue un problème social, voire une réponse à la situation économique.»

 

Faire un bon mariage

 

Les Iraniennes sont parmi les femmes les plus diplômées du Moyen-Orient… «À défaut de pouvoir valoriser leurs diplômes sur le marché du travail, les femmes vont surtout les mobiliser afin de se positionner en bonne place sur le marché du mariage. Ils sont avec la beauté ou la virginité d’excellents capitaux. Et la voie qui mène à un bon mariage. C’est-à-dire avec un homme ayant des ressources pécuniaires et un statut supérieur. Surtout pour les femmes de la classe moyenne ou de condition économique modeste.»

 

«Les diplômes peuvent aussi servir à demander une dot plus importante, de manière à se protéger dans le futur. La négociation d’une dot élevée est aujourd’hui une stratégie pour contourner les restrictions légales dont les femmes font l’objet. Plus la dot est élevée, plus l’homme réfléchira avant de répudier sa femme.»

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