Un peu d’air frais montois pour les longs voyages spatiaux

22 mars 2018
par Laetitia Theunis
Durée de lecture : 7 min

SÉRIE (4) / Science ou fiction?

Toute cette semaine, en Fédération Wallonie-Bruxelles, l’opération « Printemps des Sciences » plonge aux confins de la science et de la fiction. Daily Science se met au diapason.

 

Cap sur Mars? Pas si vite! Quelques petits problèmes techniques restent à résoudre. On le sait, pour que les astronautes puissent respirer, boire et manger en orbite, la Station spatiale internationale (ISS), située à 400 kilomètres de la surface de la Terre, doit régulièrement être réapprovisionnée par des cargos spatiaux acheminant oxygène, eau et aliments.

Des déchets comme matière première

Une telle mise sous perfusion permanente avec la Terre est inconcevable pour les voyages spatiaux au long cours. Que ce soit pour aller sur Mars, établir une base humaine sur la Lune ou développer l’exploitation de l’espace entre la Terre et la Lune, il faudra être capable de recycler tous les déchets produits à bord du vaisseau spatial en nourriture, en oxygène et en eau.

C’est précisément pour s’attaquer à ce défi que l’Agence spatiale européenne (ESA) a mis sur pied le programme multidisciplinaire MELiSSA (Micro-Ecological Life Support Alternative). Depuis 25 ans, il étudie la façon de transformer un vaisseau spatial en un écosystème fermé reposant sur des bactéries, des algues, des plantes, des éléments chimique et des procédés naturels. Il sera composé de cinq bioréacteurs interdépendants actuellement étudiés par différents centres de recherche européens.

ArtEMISS mobilise l’UMons, le SCK-CEN et l’Université de Clermont-Ferrand

Financée par la Politique scientifique fédérale, l’expérience ArtEMISS se focalise sur le compartiment produisant de l’oxygène.

Elle est menée par le Laboratoire de Protéomique et Microbiologie du Professeur Ruddy Wattiez (UMons) en partenariat avec le Centre d’étude de l’énergie nucléaire (SCK-CEN) de Mol et l’Université de Clermont-Ferrand (France).

L’attention des chercheurs s’est focalisée sur la cyanobactérie Arthrospira platensis. Par photosynthèse, cette bactérie produit jusqu’à dix fois plus d’oxygène (et de matière organique) qu’une plante pour une surface donnée. Par ailleurs riche en protéines, vitamines et minéraux, elle pourrait constituer un complément à l’alimentation quotidienne des futurs astronautes. De surcroît résistante aux rayonnements cosmiques comme l’a prouvé le SCK-CEN, elle s’est rapidement profilée comme la candidate idéale pour un premier voyage test dans l’espace.

« Sur Terre, on sait contrôler la production d’O2 par les cyanobactéries dans des bioréacteurs. L’expérience ArtEMISS vise à démontrer qu’on est capable de transposer dans l’espace à la fois ce procédé et son contrôle », explique Dr Baptiste Leroy, chef de travaux (UMons).

Quatre mini-photobioréacteurs à bord de l’ISS pendant 40 jours

C’est ainsi qu’en décembre dernier, quatre photobioréacteurs miniaturisés et inoculés par la cyanobactérie Arthrospira platensis ont été acheminés dans la station spatiale internationale (ISS) pour un séjour de 40 jours. De la taille d’une brique de lait, les quatre boîtes en métal contenant chacune un réacteur de 50 ml ont été réceptionnées par les astronautes et installées dans des racks. Le reste de l’expérience, dont la réactivation des photobioréacteurs, a ensuite été télécommandée depuis la Terre.

Voici un des exemplaires des quatre bioréacteurs expédiés à bord de l'ISS en décembre dernier © QINETIQ
Voici un des exemplaires des quatre bioréacteurs expédiés à bord de l’ISS en décembre dernier © QINETIQ

Les résultats préliminaires montrent que les modèles mathématiques développés par le Centre d’étude de l’énergie nucléaire et l’Université de Clermont-Ferrand pour prédire et contrôler la quantité d’O2 produite par les bactéries photosynthétiques en fonction de la quantité de lumière injectée fonctionnent à merveille.

Réussir à séparer l’oxygène gazeux du liquide

« On a aussi pu montrer une autre facette de notre capacité technique. Sur Terre, l’O2 produit par une bactérie remonte à la surface du liquide et s’évacue naturellement dans la phase gazeuse au-dessus du bioréacteur », explique Dr Leroy. « Rien de tel dans l’espace en raison de l’absence de séparation entre les gaz et le liquide. Dès lors, les bulles d’O2 restent dans la solution et s’y accumulent jusqu’à y devenir rapidement inhibitrices. C’était donc un challenge de parvenir à évacuer rapidement l’O2 produit par la bactérie pour qu’elle puisse continuer à en produire un maximum. Et on y est arrivé. »

Baptise Leroy donne ici quelques précisions sur la méthode utilisée:

 

Un bioréacteur classique, tel qu’installé sur une paillasse de labo, est un mastodonte composé d’un vase contenant jusqu’à 100 litres de bactéries. Le tout est illuminé par un manteau de LEDs ou d’halogènes. Il est relié à une énorme console contrôlant le pH de la solution et gérant l’oxygénation, l’agitation, l’ajout de milieu frais etc. Les contraintes spatiales en termes de poids et de volume étant très strictes, il a fallu user d’ingéniosité pour miniaturiser l’ensemble et le faire tenir dans une boîte d’un peu plus de 10 cm de côté.

Photobioréacteur montois inoculé avec la cyanobactérie arthrospira platensis © Laetitia Theunis
Photobioréacteur montois inoculé avec la cyanobactérie arthrospira platensis © Laetitia Theunis

 

50 générations de bactéries à bord de l’ISS

Ces prouesses techniques s’illustrent par une première mondiale en termes de recherche. «  On est les premiers au monde à être parvenu à faire croître des bactéries pendant plusieurs cycles de culture dans l’espace ! », s’enthousiasme le Dr Leroy. « Certes, on avait déjà fait pousser des bactéries en phase liquide ou sur boîte dans l’espace. Mais jamais avec un niveau de contrôle tel qu’on l’a fait ici. »

A bord de l’ISS, au bout de 10 jours de culture, après que les bactéries se soient divisées et aient épuisés les ressources, 90 % de la culture a été éliminée tandis que du milieu frais était ajouté pour relancer la culture de bactéries.

« A quatre reprises, on a été capables, en contrôlant l’expérience depuis la Terre, de vider le bioréacteur, le remplir avec du nouveau milieu de culture liquide, et avoir à nouveau la croissance bactérienne et la production d’O2 qui redémarrent», poursuit Dr Leroy.

En tout, ce sont 50 générations de bactéries qui se sont succédé à bord de l’ISS. Un véritable trésor biologique que les scientifiques trépignent d’étudier.

Comment les bactéries ont-elles évolué dans l’espace ?

Les échantillons du premier cycle de culture sont d’ores et déjà arrivés au laboratoire montois. Ceux des 3 autres cycles sont gardés congelés à bord de l’ISS et devraient bientôt rejoindre le plancher des vaches.

« Quand on aura tous les échantillons, on étudiera la façon dont les cyanobactéries ont répondu au nouvel environnement spatial, d’abord à court terme (au cours du premier cycle de culture) et puis, et c’est le plus intéressant, à long terme (4e cycle de culture). On dispose en effet de plus de 50 générations de bactéries, c’est relevant en termes d’évolution à l’échelle des bactéries. Se sont-elles adaptées? Ont-elles changé en fonction des conditions environnementales que sont l’apesanteur, les rayons cosmiques et le stress du décollage? » Leurs protéines produites et leurs voies métaboliques seront comparées à celles de leurs consœurs restées sur le plancher des vaches et placées dans des conditions expérimentales identiques.

Les bactéries congelées seront également remises en culture à Mons après leur voyage spatial. « Ont-elles ou non évolués ? Si oui, ce changement est-il réversible ? Cette souche acclimatée dans l’espace est très précieuse et va être étudiée très longuement », poursuit Dr Leroy.

Souris et cyanobactéries s’auto-alimenteront en déchets

Après le succès d’ArtEMISS, l’expérience suivante se prépare dès maintenant. Il s’agit de coupler deux compartiments qui s’auto-alimentent. Autrement dit de réaliser un circuit fermé entre le compartiment photosynthétique et un consommateur d’O2, une souris en l’occurrence. Les cyanobactéries produiront l’O2 essentiel à la survie de la souris, tandis que cette dernière exhalera le CO2 nécessaire aux cyanobactéries pour réaliser la photosynthèse.

Le compartiment dans lequel la souris, fournie en O2 par le biophotoréacteur, sera enfermée durant un mois lors des tests à l'Université de Mons. © Laetitia Theunis
Le compartiment dans lequel la souris, fournie en O2 par le biophotoréacteur, sera enfermée durant un mois lors des tests à l’Université de Mons. © Laetitia Theunis

 

Alors qu’il est prévu que cette expérience soit réalisée dans l’espace d’ici quelques années, Baptiste Leroy lève un coin du voile sur sa version terrestre qui va se dérouler au labo montois durant quelques semaines… dès le mois prochain.

 

Il donnera aussi une conférence publique ce jeudi soir sur cette expérience dans le cadre du printemps des Sciences.

 

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