photo © Christophe Macabiau

Manger des produits laitiers fermentés pour soigner son microbiote

22 octobre 2014
par Mélanie Geelkens
Durée de lecture : 5 min

Un changement d’alimentation peut-il aider à soigner certaines pathologies liées au système digestif ? Il semble que ce serait effectivement le cas, surtout si on tente d’agir sur le microbiote intestinal, ces innombrables microorganismes qui évoluent dans notre tube digestif et qu’on appelait anciennement la « flore intestinale ». L’effet produit lors de la consommation de produits laitiers fermentés serait ainsi bénéfique. Il permettrait de réduire les symptômes de certaines pathologies, comme ceux du syndrome du côlon irritable.

 

100.000 milliards de bactéries

 

L’appellation microbiote est certes moins poétique que l’ancienne terminologie de flore intestinale. Elle évoque toutefois une réalité inchangée : notre œsophage, notre estomac, nos intestins et notre côlon sont peuplés de très nombreuses bactéries. Cent mille milliards au moins dont plusieurs jouent un rôle indispensable : production de vitamine K, formation des selles, fonction de barrière protectrice contre les agents pathogènes, reformation des cellules de la paroi du côlon…

 

Cela fait un bail que les chercheurs s’y intéressent. « Avant, il fallait utiliser la culture des bactéries pour essayer d’en savoir plus sur elles. Aujourd’hui, la technologie de séquençage à haut débit nous permet d’atteindre une analyse vraiment fine de la composition du microbiote », explique Patrice Cani, professeur à l’UCL et chercheur au sein du Louvain Drug Research Institute.

 

Limiter les risques inflammatoires

 

Depuis qu’il est techniquement possible d’analyser les bactéries intestinales sous toutes les coutures et d’identifier précisément leurs rôles, les études scientifiques se multiplient. La dernière en date a été menée par une équipe franco-anglaise et porte sur l’influence que les produits laitiers fermentés pourraient avoir sur le microbiote.

 

« Chez les patients atteints du syndrome du côlon irritable (un dysfonctionnement responsable de ballonnements, de douleurs au ventre, de constipation et de diarrhée), l’ingestion de bactéries contenues dans les produits laitiers fermentés semble bénéfique », indique-t-elle. « Celles-ci vont d’interagir avec les autres micro-organismes présents dans l’intestin et faire diminuer la présence des agents pathogènes connus pour causer des inflammations intestinales ».

 

Des produits laitiers qui agissent sur la flore intestinale ? A priori, cela n’a pas l’air d’un scoop. Cela fait des années que des marques de yaourt comme Yakult ou Activia en ont fait leur argument marketing. Mais la réalité est un peu plus complexe. Auparavant, on savait que ce type de produit permettait d’amener des bactéries dans les intestins. On pensait que celles-ci ne pouvaient pas influencer l’ensemble de la communauté bactérienne. La recherche franco-anglaise semble au contraire démontrer le contraire. L’apport de certaines nouvelles bactéries peut modifier l’activité d’autres bactéries déjà présentes dans notre tube digestif et ainsi avoir un effet bénéfique.

 

Salsifis et compagnie

 

D’autres types d’aliments pourraient aussi jouer un rôle dans la composition du microbiote intestinal. Une équipe de l’UCL, menée par la chercheuse Nathalie Delzenne, étudie actuellement les effets que pourraient produire les prébiotiques (des nutriments favorisant l’activité bactérienne) contenus dans les topinambours, les salsifis, les racines de chicorée, les pissenlits…

 

Les principales industries agro-alimentaires se mettent elles aussi à s’intéresser au microbiote intestinal. Patrick Veiga, le premier auteur de l’étude franco-anglaise mentionnée plus haut, travaille d’ailleurs au sein de l’Institut de recherche Danone.

 

Et pour cause : le microbiote ne serait pas uniquement lié au syndrome du côlon irritable, mais également à d’autres pathologies. Et non des moindres. Obésité, diabète, insulinorésistance, asthme, maladies inflammatoires, maladie de Crohn, cancer du côlon, allergies… Des recherches émergentes sont même menées sur l’autisme et la dépendance à l’alcoolisme.

 

« Dans la plupart de ces maladies, on observe une perturbation de la flore intestinale, décrit le professeur André Van Gossum, chef de clinique au service de gastro-entérologie de l’hôpital Erasme (ULB). Toutes ces maladies ont augmenté durant le siècle passé. On sait qu’il y a des causes génétiques, mais aussi environnementales. Peut-être que ce microbiote modifié par l’alimentation a une influence ».

 

L’œuf ou la poule ?

 

Un peu comme une empreinte digitale, chacun possède son propre « mélange bactérien », qui diffèrera de celui de son voisin. Celui-ci se constitue dès la naissance et lors des premières années de vie de l’enfant, mais peut être influencé par ce que l’on mange. Trop de graisses, pas assez de fruits et légumes = effet garanti sur la flore !

 

Reste à savoir si un microbiote perturbé est la cause ou la conséquence des pathologies citées. « Est-ce l’œuf ou la poule ? La question n’a pas encore été tranchée », résume André Van Gossum. Du moins, pas chez l’homme. Patrice Cani, qui étudie l’obésité de longue date, a réalisé des expériences sur les souris qui tendent à prouver que l’effet serait plutôt causal et que la modification de la flore intestinale à l’aide de prébiotiques conduirait à l’amaigrissement.

 

« Tout le monde essaye désormais de le démontrer chez l’homme, poursuit-il. Personnellement, je suis persuadé que le microbiote intestinal est une cause, mais qu’elle n’est pas la seule. Alimentation, environnement psychosocial… D’autres facteurs interviennent. Il ne s’agira pas de la seule solution pour traiter l’obésité, ce n’est pas la panacée, même si ça pourrait améliorer les symptômes ».

 

La science a donc encore un bout de chemin à parcourir pour tout savoir sur les bactéries intestinales. Sans tomber dans l’excès : « Plus on en parle, plus le microbiote est associé à tout et n’importe quoi, concède Patrice Cani. Cela peut devenir dangereux et discréditer le sujet ».

 

En attendant, ce n’est peut-être pas (encore ?) la peine de sa gaver de produits laitiers fermentés ou d’autres aliments censés avoir un effet bénéfique en espérant obtenir une flore intestinale irréprochable. Il est encore trop tôt pour donner de réels conseils nutritionnels. Si ce n’est ceux-ci : diminuer la consommation de graisses et favoriser celles de fibres contenues dans les fruits et légumes. Mais ça, on le savait déjà.

 

Haut depage