On avale trop de « petites pilules pour dormir » dans les maisons de repos

23 avril 2021
par Christian Du Brulle
Durée de lecture : 4 min

Les chiffres avancés par la chercheuse Perrine Evrard, doctorante au sein du Groupe de recherche en pharmacie clinique à l’Université catholique de Louvain, sont édifiants. Dans le cadre d’une analyse des données provenant de l’étude COME-ON (« Collaborative Approach to Optimize Medication Use for Older People in Nursing Homes »), menée dans une cinquantaine de maisons de repos en Belgique, il apparaît que plus de la moitié des résidents prennent des médicaments pour dormir ou pour être moins anxieux. Autre donnée: pour 98 % de ces personnes, ces médicaments sont mal utilisés ou utilisés pendant une période trop longue.

« Pour certains, cette habitude dure parfois depuis plusieurs années », indique Perrine Evrard, qui en est à sa troisième année de doctorat au LDRI (Louvain Drug Research Institute). « Or, ces médicaments ne sont pas sans effets secondaires ». Parmi ceux-ci, elle pointe des troubles de l’équilibre, des problèmes de perte de mémoire…

Les benzodiazépines en ligne de mire

Les médicaments en question sont des benzodiazépines, des molécules disponibles sur prescription et dont les effets thérapeutiques tendent à diminuer avec le temps. « Par ailleurs », indique encore la chercheuse, « la prise de ce médicament entraîne aussi, avec le temps, une certaine dépendance, à la fois physique et psychologique. » Selon le Centre belge d’Information Pharmacothérapeutique (CBIP), cette dépendance s’installe déjà après 1 à 2 semaines de traitement.

Après le constat, place à l’action. Dans le cadre de son doctorat, Perrine Evrard tente d’élaborer une méthode pour que les résidents puissent se passer des benzodiazépines.

Objectif déprescription

« L’objectif de ma thèse est d’identifier des moyens pour que les résidents de maisons de repos qui prennent ce type de médicaments, parfois depuis des années, puissent arrêter progressivement d’en consommer. C’est ce qu’on appelle la déprescription », précise-t-elle. 

« Depuis des années, on recommande d’arrêter les benzodiazépines. Mais dans les faits, on observe que leur usage massif continue. Pourquoi? Parce qu’il est très compliqué d’arrêter.» « C’est comme pour le tabac. Il est bien plus difficile d’arrêter de fumer que de ne jamais commencer », indiquait-elle voici quelques jours, en présentant un résumé de ses recherches lors du concours « Ma thèse en 180 secondes », organisé à l’UCLouvain.

Au cœur des maisons de repos

La pharmacienne va à la rencontre des résidents de maisons de repos, essentiellement en Wallonie, mais aussi à Bruxelles et en Flandre. Elle discute également avec le personnel soignant, les médecins et, bien entendu, les proches des personnes âgées. 

« Dans cette phase de mes recherches, je discute avec ces différents interlocuteurs de l’utilisation de tels médicaments », dit-elle. « Cela me permet de mieux comprendre quels sont les obstacles à la déprescription de ces médicaments. De quoi ensuite pouvoir proposer des méthodes pour lutter contre ces barrières et faciliter le changement. Une piste passerait, par exemple, par la diffusion d’une meilleure information sur ce type de médicaments auprès des résidents. Des rencontres interdisciplinaires avec les différentes personnes concernées font partie des interventions sur-mesure, qui visent spécifiquement ces barrières. »

Les recherches de Perrine Evrard dans les maisons de repos ont été ralenties par la crise sanitaire actuelle. « Depuis quasi un an, l’accès à ces maisons est difficile », dit-elle.

La pandémie, a-t-elle eu un effet sur la consommation de ces anxiolytiques dans ce milieu? « Je ne reçois aucun signal en ce sens », confie-t-elle encore. « Il semble qu’il n’y a pas eu d’augmentation de benzodiazépines pendant le confinement. Par contre, le moment n’est peut-être pas idéal pour mettre en place des interventions ciblées pour en limiter la consommation. Celles-ci passent aussi par la motivation du personnel, lequel a été mis à rude épreuve ces derniers mois. »

La chercheuse poursuit ses travaux. En tant qu’assistante à l’UCLOuvain, elle dispose théoriquement de 6 années pour boucler sa thèse. 

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