Inégalité génétique face à l’efficacité de la dialyse à domicile

23 novembre 2021
par Laetitia Theunis
Durée de lecture : 5 min

Près de 10 % des Belges souffrent d’une insuffisance rénale chronique. A partir d’un certain stade de cette maladie, il faut avoir recours à la dialyse : hémodialyse, réalisée en hôpital, ou dialyse péritonéale, faite soi-même à la maison. Cette dernière méthode, captant toxines et eau en excès à travers la membrane péritonéale, concerne environ 1000 concitoyens. L’équipe du Pr Olivier Devuyst, professeur à l’Institut de recherche clinique de l’UCLouvain (IREC) vient d’identifier un variant génétique fréquent associé à une diminution de l’efficacité de la dialyse péritonéale. Et, sur base de travaux antérieurs, propose une solution pour contourner ce problème. De quoi ouvrir une nouvelle porte à la médecine de précision.

Le péritoine permet plus de flexibilité

La Belgique compte de nombreux centres d’hémodialyse. Trois fois par semaine maximum, les patients s’y rendent afin de retirer les toxines et l’excès d’eau de leur sang. Durant quatre heures, leur sang passe dans un circuit extracorporel dans lequel est logé un rein artificiel. Si cette technique hospitalière assez ancienne fonctionne bien, elle se traduit, par contre, par une faible qualité de vie pour les patients.

Au contraire, la dialyse péritonéale leur offre une large liberté et une vie active. En effet, cette dialyse se fait à la maison, et peut avoir lieu à n’importe quel moment de la journée, y compris pendant la nuit. « De plus, cette ‘self-dialyse’ peut se faire tous les jours, ce qui est un énorme avantage par rapport à l’hémodialyse en hôpital », explique Pr Devuyst.

Il s’agit d’une dialyse basée non pas sur un rein artificiel, mais sur une membrane naturelle nichée dans l’abdomen, le péritoine, qui s’étend autour de la cavité péritonéale. Présente chez tous les individus, celle-ci est généralement vide. « Via une opération chirurgicale, on y insère un cathéter. C’est par celui-ci que le patient s’injecte lui-même quotidiennement environ 2 à 3 litres de solution, le dialysat. »

Environ 1000 Belges ont recours à cette méthode. Notamment des jeunes qui veulent garder une vie active avant une transplantation de rein.

Une dialyse quotidienne durant le sommeil

« Grâce à un effet osmotique – résultant de la différence de concentration de deux liquides –, ce dialysat va capter, à travers la membrane péritonéale, l’excès d’eau et les toxines que les patients ne peuvent éliminer par l’urine. Cela prend 2 à 3 heures, durant lesquelles le patient peut vaquer à ses occupations – après l’injection du dialysat, il se déconnecte du portique et fixe le cathéter contre son ventre avec un pansement – ou dormir. »

En effet, « certaines machines permettent de réaliser cette dialyse pendant la nuit. Le patient restant alors connecté à sa machine, plusieurs échanges se font durant son sommeil – lequel n’est pas perturbé par le procédé -. Dès lors, au lieu d’être dialysé 3 fois 4 heures par semaine, comme en hémodialyse, le patient l’est durant 7 à 8 heures tous les jours. La qualité de la dialyse est très grande et le patient jouit librement de ses journées », analyse le Pr Devuyst.

Les aquaporines, la plomberie du péritoine

Mais, il y a un mais : la qualité de la membrane péritonéale varie d’un individu à l’autre. Chez certains patients, il est très difficile d’extraire l’excès d’eau. Et ce, malgré des solutions de dialysat plus concentrées pour attirer davantage le liquide. Les patients sont alors redirigés en hémodialyse.

« Depuis plusieurs années, notre groupe de recherche étudie les mécanismes par lesquels l’eau peut être réabsorbée, en particulier à travers la membrane péritonéale. Nous avons découvert qu’une classe de protéines, dénommées aquaporines, sont de véritables canaux pour l’eau et très abondantes dans le péritoine. »

Un variant génétique délétère

« Ensuite, nous avons regardé si les mauvaises performances de la dialyse péritonéale chez certains patients n’étaient pas dues à un facteur qui modulait l’expression, ou la quantité, de ces canaux », poursuit-il.

Lors d’une étude clinique menée auprès de 2 000 patients en dialyse péritonéale (en Belgique, aux Pays-Bas, en Angleterre, en Espagne et en Chine), un consortium international dirigé par le Pr Devuyst a découvert que les patients porteurs de deux copies du variant du gène AQP1 ont moins d’aquaporines au niveau de la membrane péritonéale. Ce qui se traduit par une diminution sensible de leur capacité à éliminer de l’eau en dialyse et un risque accru de décès. Cette modification du génome se retrouve dans 15 % de la population.

« C’est la première fois qu’est mis en évidence un facteur génétique responsable, ou associé à la qualité de la dialyse péritonéale. »

Un dialysat qui contourne le manque d’aquaporines

« Grâce à nos travaux antérieurs, nous avons pu montrer qu’en utilisant une solution particulière de dialyse, nous pouvions éviter l’effet délétère de ce facteur génétique. »

Ce dialysat particulier est déjà disponible en Belgique. Il s’agit d’une substance colloïdale, contenant des particules osmotiques beaucoup plus grosses attirant l’eau par des voies différentes que les aquaporines.

« Le hic, c’est que cette solution particulière attire l’eau beaucoup plus lentement que les solutions normales. Toute une nuit est nécessaire pour que la dialyse soit réalisée totalement et que l’excès d’eau – lequel conduit à des problèmes cardiovasculaires – soit rejeté. »

« Cette étude est un « proof-of-principle ». Des études cliniques prospectives doivent encore prouver que notre solution permet bien de mitiger l’effet du facteur génétique. A l’avenir, nous allons également chercher si d’autres facteurs génétiques seraient impliqués dans la qualité de la dialyse », conclut le Pr Olivier Devuyst.

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