Faut-il avoir peur du nucléaire?

24 septembre 2019
par Raphaël Duboisdenghien
Durée de lecture : 4 min

Daniel Soumillion a attendu d’avoir 80 ans pour proposer ses idées aux lecteurs de «Ce que je pense». Sur la vie, l’écologie, les religions, les syndicats, les médias… L’ancien ingénieur civil de l’UCLouvain donne son avis sur le nucléaire. Un domaine qu’il connaît bien. Pendant une dizaine d’années, il a dirigé une société états-unienne spécialisée dans la décontamination de centrales nucléaires. Tant en Belgique, à Doel, Tihange et Mol qu’en France, Suède, Finlande, Allemagne.

Selon l’expert, il est sage d’écouter le Belge Christian de Duve. Le prix Nobel de physiologie et de médecine en 1974, fondateur de l’Institut de pathologie cellulaire rebaptisé Institut de Duve, disait à 95 ans: «Les gens n’ont pas appris à raisonner avec la rigueur et l’honnêteté intellectuelle qu’essaient d’observer les scientifiques. Ils manquent d’objectivité et sont obnubilés par des croyances et des certitudes qui ne se fondent sur aucune réalité démontrable.»

« Ce que je pense » par Daniel Soumillion. Editions 180° – VP 19 euros

Des fissures dans les réacteurs

On parle de fissures observées lors de contrôles des réacteurs Doel 3 et Tihange 2. «Pourquoi ne pas informer le public que les fissures en question ne sont visibles que grâce à des détecteurs ultrasoniques et sont présentes dans le métal depuis plus de 40 ans, lors de la coulée initiale des cuves des réacteurs?», réplique l’expert. «De plus, il ne s’agit pas de fissures, mais bien de bulles d’hydrogène en position laminaire et incluses dans l’épaisseur de la cuve. Toutes les autorités compétentes considèrent qu’elles ne présentent aucun risque de sécurité. Le temps l’a démontré.»

En service depuis 9 ans, le réacteur numéro 4 explose le 26 avril 1986 à Tchernobyl, en Ukraine. Trente morts sur place et des menaces de cancers dans les abords de la centrale nucléaire. «Plusieurs raisons techniques, liées au mode de fonctionnement et de construction du réacteur RMBK, expliquent la perte de contrôle des opérations menées ce jour-là. Le réacteur n’était pas protégé par un bâtiment de confinement, mais tout simplement installé à l’intérieur de l’usine nucléaire!»

«On ose imaginer ce qu’aurait pu être Tchernobyl si cette centrale soviétique avait été protégée par seulement la moitié du nouveau programme de sécurité EPR, European Pressurized Reactor (réacteur pressurisé européen). À l’épreuve d’une chute d’avion, ce ‘containment building’, doté d’une double enceinte de béton armé de 2,6 m d’épaisseur, constitue à lui seul un enfermement total de la production nucléaire. Seules les installations classiques des turbines et alternateurs sont situées en dehors du bâtiment. Le Japon, la Chine et la Grande-Bretagne sont en passe de mettre en production cette nouvelle filière EPR.»

Des explosions à Fukushima

La catastrophe de Fukushima au Japon, en 2011, est aussi classée au niveau 7. Le degré le plus élevé dans l’échelle internationale des événements nucléaires. «À l’origine, l’accident de Fukushima n’a rien de nucléaire», souligne Daniel Soumillion. «Le tsunami et la déferlante qui l’accompagne ont détruit les circuits de refroidissement et par voie de conséquence entraîné les surchauffes de 3 réacteurs suivies de leurs explosions. L’erreur est indiscutablement la localisation géographique de la centrale japonaise, totalement incompatible avec le risque sismique du rivage de l’océan Pacifique.»

«On comprend l’effroi des populations devant de telles catastrophes. Mais pas les conclusions rapides d’y associer les centrales occidentales construites et protégées par des technologies d’une rare exigence. Chaque implantation est analysée selon la fragmentation terrestre locale possible, tenant compte de la structure des sols et du passé sismique historique du lieu.»

Renoncer au nucléaire pour le gaz

«Dire que l’on va abandonner le nucléaire en Belgique n’est qu’une promesse politique. Son irréalisme entraîne d’ailleurs les reports consécutifs de son application. La réponse proposée aujourd’hui est la combustion du gaz. En oubliant qu’elle produira des quantités non négligeables de CO2! À l’échelle européenne, une telle option induit une consommation gigantesque de ce produit fossile.»

Pour l’ingénieur civil, l’avenir du nucléaire est avant tout une question de connaissance et d’information du grand public.

À 52 ans, Daniel Soumillion s’est inscrit en philosophie et lettres à l’Université Libre de Bruxelles (ULB) dans la section histoire. Il devient conférencier spécialisé dans l’époque médiévale. «Après 5 années d’études et d’examens, je pense être devenu un autre homme», conclut-il. «Ni meilleur ni moins bon, simplement plus prudent. Observateur du monde, des hommes et de l’histoire.»

Haut depage