Favelas à Rio de Janeiro - libre de droit

Le Brésil marqué par les inégalités

25 novembre 2022
par Raphaël Duboisdenghien
Durée de lecture : 4 min
"Marges et marginalisés au Brésil", sous la direction de Frédéric Louault, Margaux De Barros et Kevin Kermoal. Éditions de l’Université Libre de Bruxelles. VP 31 euros
« Marges et marginalisés au Brésil », sous la direction de Frédéric Louault, Margaux De Barros et Kevin Kermoal. Éditions de l’Université Libre de Bruxelles. VP 31 euros

Après avoir enquêté dans les favelas de Rio de Janeiro, dans les quartiers marginalisés de Sao Paulo ou dans des villages éloignés des grandes villes comme en Amazonie, 20 chercheurs en sciences humaines, brésiliens ou ayant vécu dans l’État le plus étendu et le plus peuplé d’Amérique du Sud, publient «Marges et marginalisés au Brésil». Aux Éditions de l’Université Libre de Bruxelles. Sous la direction de Frédéric Louault, professeur de science politique à l’Université libre de Bruxelles (ULB), de la chercheuse postdoctorante Margaux De Barros et du doctorant aspirant au Fonds de la recherche scientifique Kevin Kermoal.

Le diktat du marché

Pour l’anthropologue Neiva Vieira da Cunha, professeure à l’Universidade do Estado de Rio de Janeiro, le livre apporte une contribution scientifique innovante et très importante.

«Le Brésil peut être considéré comme un cas emblématique et pertinent pour appréhender les relations qui peuvent exister entre la production de l’espace urbain, les inégalités sociospatiales et les processus de marginalisation. Le cas brésilien révèle ainsi quelques particularités sur le mode de gouvernement des populations pauvres et marginalisées, dans la mesure où les processus d’urbanisation mis en œuvre ont été historiquement guidés par le marché immobilier et financier. Au détriment des droits des citoyens.»

Les pauvres sont expulsés aux marges des villes… «Les perturbations imposées par ce modèle d’urbanisme, soutenu par les actions violentes de l’appareil d’État, ont profondément marqué les conditions de vie d’une grande partie des classes populaires. Ces politiques ont imposé une mobilité résidentielle forcée aux habitants des territoires populaires, caractérisant le Brésil comme l’un des pays les plus profondément marqués par les inégalités urbaines.»

Les ravages de la Coupe du monde et des Jeux olympiques

L’organisation de la Coupe du monde en 2014 et des Jeux olympiques 2016 à Rio de Janeiro impacte profondément l’organisation spatiale de la ville. «Comme plusieurs chercheurs l’ont documenté, ces événements tendent à exacerber les inégalités et la fragmentation de l’espace urbain», relève leur collègue Margaux De Barros. «À partir des années 1990, les pouvoirs publics se saisissent de l’organisation de ces grands événements pour entreprendre de vastes mutations urbaines.»

«Les marges urbaines, à l’image du quartier de la Vila Autódromo, reflètent les efforts et l’inventivité de ses habitants pour s’organiser et améliorer collectivement leur cadre de vie.»

«À l’écart des programmes d’urbanisation institutionnels ou menacés par ces derniers, les habitants produisent et donnent sens à leur quartier. Les actions qu’ils mènent aussi bien pour améliorer leurs conditions de vie que pour se mobiliser mettent en lumière la diversité de leurs compétences et savoir-faire. S’informer, s’organiser, réagir rapidement, mobiliser des soutiens, formuler des alternatives…»

Résistant à l’expulsion, 20 familles du bidonville de la Vila Autódromo sont relogées dans des maisons construites par la municipalité. «L’expérience collective de la lutte et la mémoire attachée à l’espace, relayées à travers les témoignages des habitants, nourrissent les mobilisations futures», conclut la chercheuse en science politique à l’ULB.

La conquête militante du foot par les femmes

La loi de 1941 interdit le football aux Brésiliennes. En décrétant que «les femmes ne seront pas autorisées à pratiquer des sports incompatibles avec les conditions de leur nature». Une consécration légale de la relégation des Brésiliennes au foyer. Au statut marginal de citoyennes de seconde zone.

Ce n’est qu’en 1979, à la fin de la dictature militaire, que le football féminin est autorisé. Pas moins de 3.000 équipes se constituent. À la suite, notamment, du retour au pays d’exilées politiques féministes.

«La réintégration dans le paysage footballistique du pays s’est traduite par la reproduction de certains mécanismes de domination masculine empêchant une pleine participation à cet espace», note le chercheur Xavier Bernoud. «En raison d’un phénomène de sexualisation des joueuses pérennisant les normes hégémoniques masculines les en ayant exclues à l’origine», explique le membre de l’AmericaS, le Centre interdisciplinaire d’étude des Amériques.

Les Brésiliennes continuent à pratiquer leur sport loin des lieux de pouvoir et de décision. «La conquête militante du football par les femmes permet de révéler les innombrables inégalités qui grèvent encore ce bastion de tradition masculine, mais aussi de les combattre.»

«Le football vient illustrer la propension des marges à se muer en terreaux favorables au changement social et à l’intégration par l’initiative populaire. Faisant apparaître la richesse des significations culturelles et sociales à l’œuvre dans ces espaces.»

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