Anopheles Stephensi © Bibliothèque d'images de santé publique (Public Health Image Library) (PHIL) des Centres pour le contrôle et la prévention des maladies , avec le numéro d'identification #5814

La malaria, localisée par satellite

27 décembre 2021
par Laetitia Theunis
Durée de lecture : 6 min

Le paludisme, ou malaria, tue plus de 400.000 personnes chaque année, principalement en Afrique subsaharienne. Pour les populations rurales, le risque est bien connu, mais cette maladie touche aussi les villes. A l’aide de données satellitaires, des chercheurs de l’ULB, de l’UNamur, de la KUL et de l’université du Maine (Angleterre) ont entrepris de la cartographier à l’échelle du quartier dans deux métropoles africaines : Kampala (Ouganda) et Dar Es Salam (Tanzanie). Ce projet d’épidémiologie spatiale, dénommé REACT (Remote Sensing for Epidemiology in African Cities), a été financé par la Politique scientifique fédérale (BELSPO) dans le cadre du programme STEREO-III (Support To Exploitation and Research in Earth Observation).

La malaria, un fléau rural …

La malaria est une maladie à transmission vectorielle dont l’hôte est le moustique Anopheles porteur du parasite Plasmodium. Si elle est aujourd’hui synonyme de destination lointaine dans l’esprit occidental, elle fut longtemps présente en tout point du globe. Eradiquée d’Europe depuis 2015, selon l’OMS, elle demeure largement répandue dans les régions tropicales et subtropicales, notamment du continent africain.

Selon l’OMS, c’est en Afrique subsaharienne que l’on constate le plus de décès imputés à la malaria, particulièrement chez les enfants. Le paludisme y est principalement connu comme étant une maladie rurale. En effet, la présence de nombreuses eaux stagnantes, du lac au récipient de collecte d’eau de pluie non-obturé par un couvercle, y permet la prolifération des moustiques porteurs du parasite Plasmodium.

« C’est donc dans les zones rurales que la plupart des initiatives menées par les gouvernements, les scientifiques et les organisations internationales se sont concentrés jusqu’alors », notent les scientifiques du projet REACT.

… mais aussi urbain

Or, depuis une dizaine d’années, la démographie galopante et l’amplification de l’exode rural font que l’urbanisation atteint un taux sans précédent en Afrique subsaharienne. On estime que d’ici 2050, la moitié de la population y vivra dans les villes. Principalement dans des bidonvilles.

C’est déjà le cas aujourd’hui pour la majorité des habitants des villes subsahariennes. Leurs abris de fortune sont souvent érigés sur des terres inondables, des marais, des décharges. Les eaux de pluie s’y accumulent en mares et autres flaques, qui sont autant de sites de ponte idéaux pour les moustiques vecteurs de la malaria. De plus, l’absence d’eau courante force la population défavorisée à stocker l’eau de pluie, souvent dans des citernes à ciel ouvert.

« Cette hétérogénéité du risque intra-urbain n’est pas prise en compte dans les initiatives de cartographie du risque de malaria sur le continent. Elle ne figure pas non plus dans les stratégies nationales de contrôle actuelles qui se concentrent sur la protection des communautés rurales moins densément peuplées », pointe le consortium de recherche.

A gauche, carte de la densité de population ; à droite, taux de prévalence de la malaria pour Dar Es Salam (Tanzanie) © REACT – Cliquez pour agrandir

Des images satellitaires pour cartographier l’occupation du sol

Le projet REACT, qui s’est achevé récemment, a permis de développer un modèle spatial détaillé (avec une maille d’à peine 100 m de côté) de la prévalence de la malaria à Kampala (Ouganda) et à Dar Es Salam (Tanzanie), deux très grandes villes d’Afrique subsaharienne.

« Pour ce faire, nous avons principalement utilisé des images satellites à très haute résolution (résolution de 50 centimètres) de la mission satellitaire européenne Pléiades. Elles contenaient des informations dans 4 bandes du spectre électromagnétique (rouge, vert, bleu et proche infrarouge (NIR)). L’information NIR est cruciale pour nos modèles, car elle discrimine très facilement la végétation photosynthétiquement active », explique Dr Stefanos Georganos, coordinateur du projet REACT, chercheur au sein du service d’ANAlyse GEOspatiale (ANAGEO) à l’ULB.

« A Dar es Salaam, nous avons pu obtenir des acquisitions satellitaires tri-stéréo – c’est-à-dire plusieurs images de la même zone, mais sous des angles différents -. Cela nous a permis de construire des modèles d’élévation d’objets et, avec une précision raisonnable, d’estimer les types de bâtiments en présence. »

« Une fois ces données obtenues, la première étape fut d’établir des cartes d’occupation du sol de ces villes à une résolution de 50 cm (identique donc aux images satellitaires) à l’aide de modèles informatiques d’apprentissage automatique. L’occupation du sol fait référence aux propriétés physiques de la surface de la Terre telles que les bâtiments, les rues, le sol nu, les arbres, les buissons, l’eau, etc. », poursuit le Dr Georganos.

Des modèles prédictifs à l’échelle du quartier

La deuxième étape a consisté à développer les cartes d’occupation des sols au niveau des rues. « Comme il n’y a pas de données officielles disponibles concernant les blocs de rues (quartiers) ou les parcelles (cadastrales, NDLR), nous avons dû construire les nôtres. »

« Nous avons développé un processus d’extraction de blocs de rue en utilisant les données OpenStreetMap (qui est une base de données cartographique ouverte, similaire à Google Maps, constamment améliorée par des bénévoles du monde entier). Nos données d’occupation des sols au niveau de ces quartiers ont ensuite été fusionnées afin d’obtenir des données sur l’utilisation des terres. C’est-à-dire identifier les zones résidentielles, les bidonvilles, les zones industrielles, les zones humides et les terres agricoles, etc. », explique le Dr Georganos.

« Nous avons ensuite couplé à nos données, via l’apprentissage automatique, les quelques rares enquêtes géolocalisées sur le paludisme dans ces deux villes d’Afrique subsaharienne. Une fois satisfaits de notre modèle, nous avons prédit la prévalence du paludisme à une résolution initiale de 100 mètres. »

Résultats ? Le modèle associe bien les bidonvilles, les zones humides et les terres agricoles à des degrés plus élevés de prévalence du paludisme. Quant aux quartiers plus riches, ils présentaient une charge de paludisme significativement moins élevée. Et ce, grâce à des bâtiments construits à des altitudes plus élevées, moins facilement inondables, mais aussi à davantage de ressources pour se protéger de la maladie.

Un modèle possiblement extensible à la dengue

Quels sont les avantages de développer un modèle spatial détaillé de la prévalence du paludisme en milieu urbain ? « Dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne, les enquêtes de terrain disponibles sur le paludisme urbain sont rares et souvent très ciblées sur une zone de la ville. Or, la malaria étant devenue un problème important dans ces villes en croissance rapide, il est crucial de pouvoir avoir une solide compréhension de tous les types d’infrastructures urbaines, laquelle ne peut être acquise par quelques enquêtes clairsemées. Les données satellitaires sont très utiles pour cela, car elles peuvent collecter des informations sur toute une ville voire même au-delà. »

Actuellement, le modèle développé dans le cadre du projet REACT fonctionne uniquement pour le paludisme. Toutefois, il est envisageable qu’il puisse être utilisé avec d’autres maladies à transmission vectorielle, telles que la dengue. « Le problème, encore une fois, est le manque d’enquêtes géolocalisées sur la dengue, bien qu’il y ait quelques petits progrès. Nous espérons pouvoir reproduire nos travaux à l’avenir lorsque suffisamment de données épidémiologiques sur la dengue seront disponibles pour entraîner nos modèles », conclut le Dr Stefanos Georganos.

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