Smilodon - libre de droit

Comment le félin à dents de sabre parvenait-il à attaquer ses proies ?

28 février 2023
par Camille Stassart
Durée de lecture : 4 min

Avec des canines pouvant atteindre plus de vingt centimètres, les félins aux dents de sabre, dont les derniers représentants se sont éteints il y 10.000 ans, restent bien connus du grand public. Ce groupe réunissait une quinzaine de genres différents, dont Homotherium, qu’on retrouvait surtout en Europe. Le plus emblématique de tous est le Smilodon, aussi surnommé « tigre à dents de sabre », bien qu’on ne pense pas qu’il arborait des rayures comme le tigre actuel.

Grâce aux travaux de Narimane Chatar, doctorante FNRS au laboratoire d’évolution et des dynamiques de diversités de l’ULiège (EDDyLab), on en sait davantage sur la façon dont ces prédateurs mordaient leurs proies, malgré leur crocs démesurés.

Les trois espèces analysées dans l’étude © Massimo Molinero

De grandes dents pour de grandes proies

« Ma thèse vise à étudier la convergence évolutive entre deux familles de mammifères qui ont développé des morphologies de type féline, à savoir les félidés (à laquelle appartenaient les félins à dents de sabre) et les nimravidés », une famille de mammifères carnivores féliformes qui arpentait la Terre il y a plusieurs millions d’années.

Dans le cadre de son étude, la doctorante a notamment voulu déterminer les modes de chasse des espèces à dents de sabre. Une question depuis longtemps débattue par les chercheurs, dans la mesure où il n’existe plus aucun équivalent moderne d’animal de ce type.

« La communauté scientifique fait aujourd’hui l’hypothèse que la morphologie des félins à dents de sabre leur permettait de chasser spécifiquement des animaux de grandes tailles, comme des bébés mammouths », indique Narimane Chatar. « Leurs canines étant très fines, et donc fragiles, ces espèces ne s’attaquaient vraisemblablement qu’aux proies présentant une large gorge, afin d’éviter de toucher un os ». La mise à mort était néanmoins rapide et efficace, leurs crocs pouvant perforer la trachée ou les artères irriguant le cerveau de ses proies.

Puisqu’ils ne chassaient que des grands animaux, la littérature suppose que ces prédateurs devaient ouvrir leur gueule à des angles plus grands que les fauves actuels. « J’ai donc testé cette idée en réalisant des simulations de morsures avec un angle de 30 degrés (comme on le voit chez les félidés d’aujourd’hui), de 60 degrés et de 90 degrés ».

Crâne de Barbourofelis fricki, l’espèce possédant les plus longues canines analysées dans l’étude © Narimane Chatar

Plusieurs modes de chasse possibles au sein du même groupe

Pour ce faire, la doctorante s’est basée sur les scans 3D de crânes de 17 spécimens : 11 espèces fossiles de prédateurs à dents de sabre, et 6 espèces actuelles. A l’aide d’un logiciel de modélisation, la chercheuse a effectué 1074 simulations de morsure.

Conclusion ? L’étude a bel et bien démontré que ces carnivores étaient adaptés pour ouvrir leurs mâchoires à une plus grande amplitude. « On pensait toutefois que plus l’espèce a des dents courtes, plus l’angle de morsure est faible. Or, les prises de proies étaient différentes chez chaque espèce étudiée. Concernant les espèces aux dents démesurées, toutes ne présentaient pas les mêmes comportements mécaniques. Ce qui suggère que même celles qui avaient la même morphologie ne chassaient pas de la même manière. »

Des résultats assez logiques selon la chercheuse, dans l’idée où les espèces de félidés actuels n’opèrent pas, non plus, selon un seul mode de chasse. « Les lions et les tigres auront tendance à étouffer leurs prises, quand les jaguars vont plutôt percer des trous dans le crâne de leurs proies, comme les crocodiles. Les plus petites espèces vont, de leur côté, sauter pour attraper des oiseaux au vol.»

Spécimen de Hoplophoneus primaevus de la famille éteinte des Nimravidae © Narimane Chatar

Des animaux victimes de leur régime

Narimane Chatar poursuit aujourd’hui ses recherches sur ce groupe de félins, en vue de dégager ses grandes tendances évolutives, selon la période et le continent où ces animaux vivaient, les changements climatiques de l’époque, etc.

Leur disparition est surtout attribuée à leur régime alimentaire, très spécifique. Ces carnivores ont notamment été concurrencés par l’humain, qui chassait également d’imposants mammifères. Et ceux vivant sur le continent américain ont été directement impactés par l’extinction de la mégafaune d’Amérique du Nord, incluant les mammouths, survenue il y a plus de 10.000 ans. « Aujourd’hui, les félins s’attaquent à une multitude de proies, et sont donc beaucoup plus polyvalents que leurs ancêtres », conclut la chercheuse.

Scan d’un moulage du crâne de l’espère Smilodon fatalis © Narimane Chatar
Haut depage