Brome des Ardennes © Franck Hidvegi

Brome des Ardennes : les champs wallons accueillent un revenant

28 juillet 2022
par Christian Du Brulle
Durée de lecture : 4 min

Bonne nouvelle sur le front de la biodiversité en Wallonie. Outre la rainette verte (un amphibien de 5 cm de long et de couleur vert pomme), une autre espèce, végétale cette fois, fait son grand retour en Wallonie. Le brome des Ardennes, c’est de lui qu’il s’agit, est une graminée qui fut abondante au 19e siècle dans les champs d’épeautre des régions de Rochefort, Beauraing et Comblain-au-Pont. Le remplacement de la culture d’épeautre par le blé, la conversion des cultures en prairies pâturées et l’amélioration des techniques de tri des semences de céréales ont mené à sa disparition voici quasi un siècle.

Multiplication et germination au laboratoire

C’est en 1935 que cette espèce de brome fut observée à l’état sauvage pour la dernière fois. Depuis, l’espèce était officiellement considérée comme éteinte en Belgique.

« Cinq jardins botaniques européens possédaient toutefois encore des graines de cette espèce, dont le Jardin botanique de l’Université de Liège qui en donna un échantillon en 1983 au Jardin botanique national de Belgique, devenu depuis le Jardin botanique de Meise », explique Sandrine Godefroid, chercheuse au Jardin botanique de Meise.

« En 2005, une expérience de germination de ces graines a été tentée avec succès. En 2006, le Jardin botanique de Meise lança la multiplication du brome des Ardennes jusqu’à obtenir environ 300.000 graines viables.  Cela dura jusqu’en 2012. »

« Ensuite, la réintroduction de ces semences en milieu naturel en Wallonie a fait l’objet d’une étude de faisabilité. Elle fut réalisée entre 2010 et 2020 par l’ULiège, Natagriwal et le Service public de Wallonie (SPW). Et avait comme objectif de mieux cerner les exigences écologiques de l’espèce et d’évaluer la faisabilité technique, la justification scientifique, ainsi que les éventuels risques biologiques et freins sociétaux du projet. »

«  Grâce à l’excellente collaboration établie de longue date entre la Région wallonne, le Département de la Nature et des Forêts (DNF) et un agriculteur bio, l’espèce a enfin pu être réintroduite, à Ciney, dans son habitat d’origine ».

Brome des Ardennes © Franck Hidvegi

Mortelle évolution des pratiques agricoles

« Pour qu’une espèce puisse être réintroduite en nature, même si cette nature est un champ de céréales (le brome des Ardennes est une plante messicole, c’est-à-dire liée aux moissons, aux champs de céréales), il ne suffit pas de jeter trois graines et d’attendre qu’elles poussent », explique Julien Piqueray, responsable de la cellule scientifique de Natagriwal.

« D’une part, il faut que les conditions nécessaires à son maintien soient réunies. Or, si l’espèce avait disparu, c’était justement à cause du fait que ces conditions, les techniques agricoles en l’occurrence, n’étaient plus réunies. Elles ont même en grande partie été oubliées et il a fallu retrouver la manière de maintenir cette plante dans les champs. »

« D’autre part, la disparition de la plante ne fut pas un accident. Les agriculteurs de l’époque désiraient certainement éliminer ce végétal qui portait sérieusement atteinte aux rendements de leurs cultures ».

« Avec cette réintroduction, il y a donc un équilibre à trouver. »

Un gain pour la biodiversité

Depuis deux ans, le brome des Ardennes est désormais à nouveau présent en Wallonie. Certes de manière discrète : sur une parcelle de 2 hectares, parmi une moyenne de 2.000.000 épis de céréales, se logent à peine quelque 7.000 plants de brome des Ardennes.

Pour les agriculteurs d’Ychippe (Ciney) qui participent à cette réintroduction pilote, le brome des Ardennes n’appauvrira ni n’enrichira leurs récoltes (lesquelles sont essentiellement destinées au nourrissage d’animaux).

En réalité, la présence de cette plante messicole est surtout intéressante pour la biodiversité. Dans le jargon écologique, on la considère comme une espèce parapluie. Autrement dit, le simple fait de sa préservation permet la protection d’un grand nombre d’autres espèces animales et végétales.

« Et le brome des Ardennes pourrait se retrouver prochainement dans les champs d’autres agriculteurs », estime, confiante, Stéphanie Goffaux, de Natagriwal.

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