Dre Natacha Brion sur le site de la station d'épuration Bruxelles Nord © Saskia Vanderstichelen / VUB

Levures de bière et nanotechnologies pour extraire l’or des égouts bruxellois

29 septembre 2021
par Camille Stassart
Durée de lecture : 5 min

De l’or, de l’argent, du platine… Un véritable trésor repose actuellement sous nos pieds. Non pas dans les sols, mais bien dans les égouts ! De fait, on retrouve quantité de ces métaux précieux dans les boues des stations d’épuration. Ils proviendraient de l’érosion de nos bijoux lorsqu’on se lave. Ou encore des rejets dans les eaux usées de certains médicaments contenant de l’or, comme ceux traitant les rhumatismes.

Depuis 2019, le projet Sublimus, soutenu par Innoviris, réunit des scientifiques de l’ULB, de la VUB et de l’Institut de recherche LABIRIS, qui cherchent à développer une méthode pour récupérer ces métaux dans les stations d’épuration de Bruxelles. Deux procédés visant à extraire l’or – de loin le métal le plus intéressant à collecter – sont aujourd’hui en phase de test.

Echantillons d’eau et de boue collectés en station d’épuration © Natacha Brion – Cliquez pour agrandir

Des eaux riches en or et en platine

Les chercheurs estiment qu’environ 9 kilos d’or finiraient chaque année dans les deux stations d’épuration que compte la capitale. « En sachant que la ville importe environ 18 kilos d’or par an, récupérer cette quantité potentiellement disponible dans les égouts permettrait d’assurer 50% des importations », indique Natacha Brion, bioingénieure et responsable du projet de recherche pour la VUB. « On valoriserait, par ailleurs, un déchet (à savoir les boues), en le transformant en une source de matières premières à part entière. »

Au départ, les partenaires du projet pensaient se concentrer exclusivement sur ces boues résiduelles. « On a toutefois eu la surprise de constater que, contrairement aux autres métaux, l’or et les platinoïdes ne se trouvaient pas dans les boues, mais dans les eaux résiduelles de la station Nord, celle qui traite les trois-quarts des eaux usées bruxelloises. »

Représentation schématique d’une oxydation par voie humide © VEOLIA – Cliquez pour agrandir

Cela s’explique par le fait que cette station d’épuration emploie une technologie assez unique pour traiter les boues, en vue de réaliser des économies. « En général, ces dernières sont séchées puis incinérées. Ici, les opérateurs réalisent une oxydation par voie humide (OVH), qui consiste à chauffer les boues encore humides à haute température et haute pression, en injectant de l’oxygène pur », explique la chercheuse. Après traitement, on obtient de l’eau chargée en matières organiques (qui sera traitée à nouveau avant d’être rejetée), du gaz, et une matière solide minérale qui sera envoyée en décharge.

« Au cours du projet, on s’est rendu compte que ce procédé chimique avait pour effet d’oxyder l’or et les platinoïdes, et donc de les dissocier de la matière solide minérale. Ces métaux se retrouvaient à la fin du traitement dans les eaux résiduelles, et ce, à des concentrations très importantes : 97% de l’or au départ associé à la matière solide était dissous dans ces eaux.»

Echantillon de boue séchée – © Natacha Brion – Cliquez pour agrandir

Chimie versus ingénierie, deux techniques au banc d’essai

Depuis cette découverte, les scientifiques du projet tentent de mettre au point des techniques rentables et écologiques pour capter l’or de ce flux liquide. Deux procédés sont actuellement testés en laboratoire.

Le premier, développé par le laboratoire Engineering of Molecular NanoSystems de l’ULB, consiste à exploiter des nanoparticules de fer auxquelles sont greffés des calixarènes, des molécules qui absorbent spécifiquement l’or dans une solution. « Une fois que le lien chimique s’est fait, on peut extraire les nanoparticules avec un aimant et récupérer les particules d’or », précise la Dre Brion.

Echantillons d’eau et de boue séchée © Natacha Brion – Cliquez pour agrandir

La seconde méthode, imaginée par le laboratoire Analytical, Environmental and Geo-Chemistry de la VUB et du LABIRIS, se base sur les propriétés de la levure de bière : « La surface des cellules de levures a la capacité d’absorber des anions (des ions négatifs) et donc l’or, qui est sous forme anionique à ce stade du traitement. En versant ces levures dans des échantillons d’eaux résiduelles, on a pu noter que l’effet d’absorption est très rapide. Cela n’empêche, on cherche à optimiser davantage la technique. Pour le moment, on arrive à capter 70% de l’or présent dans la solution », informe la chercheuse.

Selon elle, les deux techniques ont chacune leurs avantages et inconvénients. « On verra si l’une se démarque en particulier lors des tests à plus grande échelle ».

Station d’épuration de Bruxelles Nord © Natacha Brion – Cliquez pour agrandir

En parallèle, les partenaires du projet poursuivent leurs recherches sur le meilleur moyen de récupérer l’or dans les boues résiduelles. « Nous n’avons pas abandonné notre idée initiale, car si la station Nord dispose d’une technologie qui permet déjà de solubiliser l’or de la matière organique solide, ce n’est pas le cas de la station Sud. En réalité, il existe peu de stations OVH (oxydation par voie humide ) en Europe. Quelque 90% des boues dans le monde continuent ainsi à être traitées par voie d’incinération : trouver des solutions reste donc intéressant », conclut Natacha Brion.

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