On ne peut pas se passer des aides familiales

29 novembre 2021
par Raphaël Duboisdenghien
Durée de lecture : 4 min
« Les aides familiales en Belgique », par Pierre Artois. Editions Academia-L’Harmattan. VP 21 euros, VN 15,99 euros

La pandémie de covid-19 a mis en évidence l’importance des aides familiales. Pour permettre aux personnes secondées de demeurer à domicile. Et de vivre décemment. Pierre Artois a étudié ce groupe professionnel peu connu, mal payé. Le maître de conférences à l’Université libre de Bruxelles (ULB) relate les résultats de sa recherche doctorale dans «Les aides familiales en Belgique». Aux éditions Academia-L’Harmattan à Louvain-la-Neuve.

Une réponse à l’urgence sociale

«Face à l’ampleur des défis auxquels vont faire face les aides familiales à court terme et dans les années à venir, nous ne pouvions pas ne pas apporter notre contribution et partager le résultat de notre étude», précise le docteur en sciences politiques et sociales. «Nous n’avons pas pour objectif d’effectuer un plaidoyer pour sacraliser ce métier. Mais plutôt de le faire découvrir aux lectrices et lecteurs. De le mettre en lumière avec ses qualités et ses zones d’ombre. D’expliquer son histoire, ses enjeux, ses transformations pour comprendre les rapports sociaux produits par les interactions sociales de travail.»

Ce secteur tente de répondre à l’urgence sociale. «Où les incertitudes sur et dans le travail sont prégnantes, générant des contradictions en termes de conception du travail. De normes identitaires charriées ou développées. Ainsi que des tensions concernant les définitions de frontières entre les métiers.»

Pouvoir prendre des décisions

La rationalisation des temps et des tâches a fait sortir les aides familiales du nettoyage. Pour se concentrer sur des travaux d’accompagnement et d’aide. Partager le territoire avec les aides ménagères et les travailleurs titres-services. Obtenir un espace social de reconnaissance.

Les aides familiales ont peu de temps pour accomplir leurs travaux. «Beaucoup doivent faire preuve de sagacité et de capacités de raisonnement et d’organisation très rapidement afin de prioriser et hiérarchiser les tâches à effectuer», relève Pierre Artois.

L’autonomie décisionnelle est une des caractéristiques de ce métier pénible. Interrogées par un questionnaire écrit, plus de 86% des aides familiales marquent leur accord, ou leur plein accord, sur le fait qu’elles ont une autonomie de travail relativement importante. Et qu’elles peuvent prendre des décisions elles-mêmes.

Des niches d’emplois pour l’avenir

Selon le spécialiste, «ces métiers de l’aide, du « care » (dimension non médicale des soins), des services à la personne, dont font partie les aides familiales, constituent des niches d’emplois pour les années à venir face aux défis sociétaux de vieillissement de la population. De ralentissement de la croissance économique. De durabilité de l’emploi…»

À plus de 98%, les aides familiales sont des femmes… «Elles offrent généralement de faibles qualifications. Beaucoup sont également tombées dans le métier par relégation ou suite à des cassures professionnelles. Elles voient ce métier, cet emploi, comme un garant de stabilité et une chance de reconstruction de soi et de son parcours.»

Des compétences non reconnues

En plus des efforts physiques, les tâches demandent une formation pour agir efficacement, en sécurité. La manutention, par exemple, engendre de nombreux accidents de travail.

«La formation continue s’est historiquement construite comme un outil de socialisation et de perfectionnement des aides familiales au vu de la faiblesse des qualifications acquises», explique le maître de conférences.

Pierre Artois constate que les associations d’aide à domicile se définissent de plus en plus comme des organisations fournisseuses de services, et même des entreprises à profit social qui évoluent dans un quasi-marché. «On remarque que la professionnalisation induite n’a pas pour objet de professionnaliser les salariés. Il s’agit plutôt de développer des compétences, sans les reconnaître, dans le cadre d’une qualification.»

«Professionnaliser dans le secteur de l’aide et des soins à domicile en Belgique revient à industrialiser les activités, leurs fluidités et la rencontre des agents sur un marché organisé. Le service fourni devient un produit échangeable et les aides familiales interchangeables. Les salariés sont donc en quelque sorte rendus invisibles.»

Un travail basé sur les émotions

Pierre Artois conclut que «le vocable professionnalisation a définitivement évincé celui de qualification dans le secteur de l’aide à domicile».

«Le groupe professionnel des aides familiales continue de se construire sur une activité pénible. Tant du point de vue physique que psychique. Il ne s’agit pas d’un travail de relation. Mais d’un travail basé sur les émotions. Les incertitudes pesant dans et sur le travail sont nombreuses et concomitantes à l’activité réalisée.»

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