Impression d'artiste de trous noirs binaires sur le point d'entrer en collision © Mark Myers, Centre d'excellence de l'ARC pour la découverte des ondes gravitationnelles (OzGrav)

Un catalogue des trous noirs générateurs d’ondes gravitationnelles

30 décembre 2021
par Laetitia Theunis
Durée de lecture : 6 min

A première vue, on dirait le tableau de Mendeleïev. Mais à y regarder de plus près, les éléments chimiques ont été remplacés par les couples de trous noirs et d’étoiles à neutrons qui ont fusionné en émettant des ondes gravitationnelles. Cette représentation graphique permet de voir, en un coup d’œil, la genèse des 90 signaux gravitationnels détectés jusqu’à ce jour par la collaboration entre l’interféromètre Virgo, situé à Cascina en Italie, et les deux interféromètres LIGO (Laser Interferometer Gravitational-Wave Observatory), basés à Hanford dans l’état de Washington et à Livingston en Louisiane, aux Etats-Unis.

La plupart de ces 90 signaux ont été produits lors de fusions de deux trous noirs : chacun de ces cataclysmes cosmiques a fait vibrer l’espace-temps et a généré une puissante bouffée d’ondes gravitationnelles. Toutefois, deux événements ont été identifiés comme des fusions entre une étoile à neutrons et un trou noir : cela représente une source d’ondes gravitationnelles d’un type nouveau. De quoi brosser un premier portrait des générateurs d’ondes gravitationnelles

Des trous noirs formés lors du Big Bang

« La théorie indique qu’il est impossible de détecter des trous noirs plus légers que 5 masses solaires. Mais l’observation révèle le contraire. En effet, des objets compris entre 2,5 et 5 masses solaires ont été détectés. C’est trop gros pour être une étoile à neutrons. Par contre, les scientifiques seraient davantage d’accord de revoir leur théorie sur les trous noirs. Dans le cadre de mes recherches, je défends l’hypothèse d’une origine primordiale », explique Sébastien Clesse, chargé de cours et chercheur au sein du Service de Physique Théorique de l’ULB.

Ces trous noirs primordiaux se seraient formés à peine quelques fractions de seconde après le Big Bang. Et auraient survécu jusqu’à aujourd’hui. Leur étude représente un grand intérêt pour la recherche en physique théorique et en cosmologie, parce qu’ils pourraient, notamment, expliquer l’origine de la matière noire dans l’Univers.

Cette image montre les 90 fusions de systèmes binaires d’astres compacts qui ont été observées à ce jour par le réseau global formé des détecteurs Advanced LIGO et Advanced Virgo. Chaque case représente un de ces événements dont le nom est indiqué dans la partie basse. Les masses des astres qui ont fusionné (trous noirs ou étoiles à neutrons) et des astres formés lors de ces fusions sont données en masses solaires. La couleur de chaque case indique pendant laquelle des trois prises de données le signal a été détecté : O1 en 2015-2016, O2 en 2016-2017 et O3 en 2019-2020. L’augmentation du taux d’événements pendant O3 est la conséquence de l’amélioration des performances des trois détecteurs du réseau ainsi que des méthodes d’analyse des données. On peut remarquer que le tableau contient en fait 91 cases, car il inclut l’événement GW200105 bien que ce dernier signal soit considéré comme marginal (c’est-à-dire que son origine astrophysique est incertaine) © Carl Knox, OzGrav, Swinburne University of Technology – Cliquez pour agrandir

Les trous noirs de masse intermédiaire ne devraient pas exister

Le 21 mai 2019, un signal gravitationnel détecté par les interféromètres LIGO et VIRGO battait plusieurs records.

Tout d’abord, dodu d’environ 142 fois la masse du Soleil, le trou noir formé était doté de la plus grosse masse jamais détectée. Ce géant résulte de la fusion de deux trous noirs de, respectivement, 65 et 85 masses solaires. Or, selon les modèles théoriques actuels d’évolution stellaire, ces derniers ne devraient pas exister.

En effet, un trou noir peut se créer au départ d’une étoile très dense, comme une étoile à neutrons, qui explose en supernova. Le cœur de cette étoile à neutrons devient alors un trou noir de moins de 65 fois la masse du Soleil.
Au contraire, les trous noirs de plus de 135 masses solaires résultent, non pas de l’explosion de l’étoile à neutrons, mais de son effondrement sur elle-même à cause de sa masse.

Par contre, les trous noirs entre 65 et 135 masses solaires ne devraient pas exister. Car l’explosion initiale de l’étoile serait si forte que celle-ci enverrait toute sa matière dans l’Univers en ne laissant rien derrière elle. La détection de l’onde gravitationnelle GW190521 a remis cela en question.

Ensuite, cette fusion d’un système binaire de trous noirs intermédiaires, qui a émis une onde gravitationnelle d’une énergie équivalente à 8 masses solaires, était la plus lointaine source jamais mise en évidence. Le cataclysme cosmique générant l’onde gravitationnelle se trouvait, en effet, à sept milliards d’années-lumière de la Voie lactée. Autrement dit, il a eu lieu il y a 7 milliards d’années, soit plus de 2 milliards d’années avant la naissance du Soleil.

Un accroissement continuel de sensibilité

Alors qu’en 2015, le monde était émerveillé par la toute première détection d’onde gravitationnelle, désormais, on compte quelque 90 fusions de trous noirs ou d’étoiles à neutrons qui ont été mis au jour. Dont 79 viennent de la prise de données LIGO-Virgo la plus récente, dénommée 3e tournée d’observation ou O3, qui a eu lieu entre avril 2019 et mars 2020.

Une telle moisson s’explique par l’amélioration des détecteurs. « En 2015, la portée des détecteurs pionniers était limitée. Depuis lors, leur sensibilité ne cesse d’être améliorée : on peut désormais voir beaucoup plus loin dans l’Univers et donc, détecter davantage d’ondes gravitationnelles », explique Sébastien Clesse, responsable pour la communication scientifique de la collaboration Virgo en Belgique.

Une nouvelle phase d’améliorations est en cours pour les détecteurs LIGO et Virgo. « Au second semestre 2022, la 4e tournée d’observations d’ondes gravitationnelles (O4) va débuter. Caractérisée par une sensibilité encore accrue, elle permettra de sonder un volume d’Univers 8 fois plus grand qu’aujourd’hui. Et donc de détecter encore plus de signaux d’ondes gravitationnelles. De quelques dizaines de détections d’ondes gravitationnelles, on espère passer à quelques centaines », poursuit-il.

A l’amélioration technique des détecteurs, s’ajoute celle des algorithmes. « Leur amélioration permet d’aller plus vite dans l’analyse des données reçues, et de donner plus rapidement l’alerte au niveau mondial d’une fusion en cours d’un système binaire, particulièrement l’un des membres du couple est une étoile à neutrons, laquelle émet un rayonnement électromagnétique. Et ce, afin que les télescopes d’observation traditionnelle puissent pointer sur l’objet et en tirer des informations », explique Dr Clesse.

Pendant ce temps, le réglage et la préparation du détecteur KAGRA au Japon sont en cours. Il devrait rejoindre LIGO et Virgo au cours de la prise de données O4. Augmenter la taille du réseau global de détecteurs d’ondes gravitationnelles permettra d’améliorer la localisation des sources des signaux dans le ciel.

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