Série (3/5) : “Auprès de mon arbre…”
Diversifier. C’est l’une des grandes stratégies d’atténuation des impacts du changement climatique en forêt. Leurs gestionnaires publics comme privés s’apprêtent à dire adieu aux forêts équiennes monospécifiques. C’est-à-dire dont les peuplements sont composés d’individus de la même espèce et du même âge. Ce changement de système cultural est une question de bon sens afin d’augmenter les chances de voir certains individus résister aux aléas climatiques à venir, tels que les sécheresses. Et donc d’éviter aux forestiers des pertes sèches massives, à l’image de ce qu’il advint suite à la crise des scolytes. Mais quelles essences mettre ensemble pour garantir un bon rendement?
Associer plusieurs espèces d’arbres pourrait permettre de répartir les risques climatiques à venir, d’utiliser les ressources nutritives de manière complémentaire, de profiter de sensibilités différentes aux aléas, le tout en révélant un rendement de bois intéressant. Au conditionnel, car en matière forestière, il n’est pas de loi générale, mais une multitude de cas particuliers. Quentin Ponette, professeur en écologie forestière à l’UCLouvain, a fait de cette thématique son cheval de bataille.
Une forêt wallonne expérimentale
A Gedinne, un terrain communal est planté d’une forêt expérimentale. Ce dispositif, connu sous l’appellation Forbio (FORest BIOdiversity and Ecosystem Functioning), est spécialement conçu pour tester les effets de la diversité des essences sur le fonctionnement des écosystèmes forestiers. Deux sites frères sont situés en Flandre, l’un à Zedelgem, l’autre à Hechtel-Eksel.
Tous trois sont construits selon un quadrillage au sol délimitant une quarantaine de parcelles de 4,5 m de côté. Chacune abrite 9 arbres éloignés l’un de l’autre de 1,5 m. « On part d’un pool de 5 espèces ligneuses adaptées au site mais fonctionnellement différentes. » A Gedinne, il s’agit de l’érable, du chêne sessile, du hêtre, du mélèze hybride et du douglas, soit 5 espèces intéressantes pour l’industrie belge du bois.
« De là, on constitue différents niveaux de richesse : certaines placettes sont des monocultures alors que leurs voisines sont des peuplements de 2, 3 et 4 espèces. Et pour chaque niveau de richesse, il y a 5 types de compositions : 5 monocultures, 5 peuplements.Chaque espèce est donc présente à une fréquence similaire“.
Au total, à Gedinne, on dénombre plus de 30.000 arbres sur 8 hectares.
« Entre espèces mélangées, il n’y a pas que des effets positifs, donc pas que de la coopération, il y a aussi de la compétition. Il est dès lors très important d’avoir des dispositifs suffisamment grands ; et ce, afin d’en tirer des infos en termes de gestion forestière qui puissent directement servir », explique le Pr Ponette, qui s’occupe de la gestion du site expérimental de Gedinne.
Eclaircies, coupes diverses, la forêt expérimentale est entretenue comme s’il s’agissait d’une forêt de rente classique. L’un des objectifs est en effet de pérenniser la production de bois pour l’industrie dans un contexte de climat changeant.
Globalement, la réponse au mélange est positive, mais …
Les trois forêts belges expérimentant les peuplements mélangés ont été mises en place entre 2009 et 2012. Presque une dizaine d’années plus tard, quels enseignements peut-on en tirer ?
«Globalement, des études réalisées sur la croissance des arbres montrent que les mélanges sont plus productifs par rapport aux monocultures correspondantes. Si cela est vrai en moyenne, cet effet varie toutefois assez fort selon la composition spécifique. Il y a en effet de fortes disparités selon les espèces en présence », explique le Pr Ponette.
Pourquoi la productivité est-elle plus importante dans certains cas spécifiques ? Le spécialiste évoque l’importance des conditions du milieu :
De nombreuses questions cruciales attendent encore de trouver réponse. Le site expérimental est ouvert à tout chercheur qui souhaiterait y mener des recherches.
Parmi les siens ou en mélange, le chêne s’en fout
Dans un autre dispositif, hêtres et chênes ont été mélangés. Résultat ? Le hêtre bénéficie de la présence du chêne en termes de croissance. Autrement dit, il grossit plus vite. Par contre, quand survient un événement de sécheresse, il en souffre bien plus en mélange avec le chêne qu’en monoculture.
« Dans ce cas précis, l’augmentation de sa croissance, et de sa demande en ressources, le fragilise en quelque sorte. Notre hypothèse est qu’il devient moins capable de réguler sa transpiration quand il y a un problème de déficit hydrique. »
Quid du chêne ? Montre-t-il des avantages à être planté en mélange avec le hêtre ? « On n’observe ni de réponse en termes de croissance ni de réponse en termes de sensibilité à la sécheresse. Cela montre la complexité de ces études de mélanges. Il est difficile de mettre à jour une règle générale. »
Le couple hêtre – pin sylvestre sous la loupe européenne
Sous l’impulsion donnée par une action COST dénommée EuMIXFOR (European Network on mixed forests), un large réseau européen de chercheurs en sciences forestières entend bien y voir clair sur les mécanismes sous-jacents. De la Suède à l’Espagne, en passant par la Belgique, l’Italie ou encore la Bulgarie, ce groupe dynamique a mis en place un vaste dispositif européen de triplets. Chacun est composé d’une première placette de hêtre en monoculture, d’une seconde de pin sylvestre en monoculture, et d’une troisième hébergeant le mélange des deux espèces.
L’étude des peuplements purs montre que les deux espèces utilisent l’eau de manière contrastée, le hêtre étant beaucoup moins économe que le pin sylvestre. Les associer dans un même peuplement peut modifier le fonctionnement de chacune. Résultat ? Si le mélange d’espèces est, en moyenne, bénéfique pour le hêtre ; le pin sylvestre, au contraire, pâtit de cette alliance.
L’effet du mélange est intimement lié à la disponibilité en eau. Dans des sites qui en sont bien pourvus, le mélange d’espèces est, en moyenne, bénéfique pour le hêtre. Quant au pin sylvestre, au contraire, il souffre de cette alliance. Cela refléterait la forte compétition exercée par le hêtre dans ces conditions.
Lorsque le sol est sec, les deux espèces trouvent leur compte en étant en couple. Par contre, en cas d’épisodes ponctuels de sécheresse, le mélange n’améliore pas de manière systématique la résistance de leur peuplement.
Pas un remède miracle
Finalement, avec tant de fluctuations dans les réponses, l’avenir est-il aux forêts mélangées ? Pour répondre à cette question brûlante, Quentin Ponette, professeur en écologie forestière à l’UCLouvain est prudent.
« Concernant la sécheresse, certains ont avancé que le mélange était la panacée. Mais des études montrent que cela peut différer fondamentalement selon les conditions du milieu et selon les espèces associées. Les résultats vont dans tous les sens. Ensuite, il faut pointer que l’effet du mélange est quand même limité : ce sont des effets qui jouent à la marge par rapport aux peuplements purs. On n’assiste pas à des augmentations de rendement de 50 %, c’est souvent beaucoup plus ténu. »
Le mélange d’espèces forestières ne serait donc pas un remède miracle face aux défis auxquels la forêt wallonne, et par extension européenne, sera confrontée. Néanmoins, « il s’agit d’une stratégie de gestion intéressante qui permet d’améliorer les performances des peuplements dans certaines circonstances. Et par là elle doit être envisagée en complément d’autres approches. Il y a de la place pour différentes stratégies d’adaptation par rapport aux changements climatiques », conclut le chercheur.