Les sciences citoyennes, leurs attraits et leurs limites

12 mai 2016
Par Christian Du Brulle
Temps de lecture : 4 minutes

La « citizen science », l’implication de citoyens pour faire progresser la recherche scientifique, est une démarche séduisante. Des volontaires alimentent en données un projet. Les scientifiques les interprètent ensuite, les valident et les utilisent pour faire progresser leurs recherches.

 

En Wallonie, le projet SmartPop mise sur cette démarche collaborative pour produire et surtout actualiser régulièrement des cartes d’occupation et d’utilisation du sol, en fonction des mouvements de la population.

 

Actualiser la carte d’occupation du sol de Wallonie (COSW)

 

« Aujourd’hui, la COSW, la « carte d’occupation du sol de Wallonie », n’est plus vraiment à jour », rappelle Benjamin Beaumont (ULB et ISSeP). « Ses données datent de 2007. Avec le projet SmartPop, qui vient de démarrer pour une période de trois ans, nous voulons élaborer un nouvel outil, plus précis et surtout plus actualisé », précise le chercheur de l’Institut Scientifique de Service Public (ISSeP).

 

Dans le cas de SmartPop, ce ne sont toutefois pas les citoyens qui sont mis à contribution pour actualiser ces cartes, mais bien des sources de données plutôt institutionnelles. Outre l’Issep et l’Institut de Gestion de l’Environnement et d’Aménagement du Territoire (IGEAT) de l’ULB, on retrouve notamment la Ville de Liège, le VITO (Institut technologique flamand) ou encore, bien entendu, la Région Wallonne.

 

Ecoutez Benjamin Beaumont détailler les finalités du projet SmartPop

La végétation canadienne suivie en direct au sol et depuis l’espace

 

Avec ces cartes d’occupation et d’utilisation du sol, l’environnement est donc en ligne de mire. Outre SmartPop, Il l’est également dans d’autres projets de science collaborative impliquant cette fois, aussi, des citoyens. Mais avec des succès nuancés. On a pu s’en rendre compte au dernier symposium « Planète Vivante », organisé par l’Agence spatiale européenne (ESA).

 

Le projet du chercheur Nicolas Delbart, de l’Université Paris Diderot, est un bel exemple de collaboration scientifique internationale et citoyenne réussie.

 

Grâce au travail conjoint de l’association canadienne NatureWatch et des centres de recherches, il a pu montrer que l’index de la végétation mondiale produit tous les dix jours en Belgique (par le VITO) pouvait servir à suivre en temps réel le décalage de la floraison d’une quarantaine d’espèces botaniques au… Canada, et ce en fonction des changements climatiques.

 

Nature Watch est une organisation qui regroupe des citoyens canadiens engagés dans la collecte de données scientifiques afin de mieux comprendre la nature des changements environnementaux. Ils observent et consignent depuis des années les dates de floraison de ces plantes.

 

Variations spatiales et temporelles

 

Ces données, toujours actualisées, ont été comparées aux index de végétation diffusés par le VITO sur base des informations provenant de l’instrument “VEGETATION”, sur le satellite SPOT et ce pour les années 1998 à 2012.

 

Synthèse Spot-Vegetation.
Synthèse Spot-Vegetation.

 

“Les deux jeux de données présentent d’excellentes similitudes”, constate Nicolas Delbart, qui estime qu’à l’avenir, leur combinaison allait continuer à se renforcer. “Un bon point pour le suivi des bouleversements qui touchent la végétation mondiale et ses variations dans le temps et dans l’espace”.

 

La proximité, un facteur attrayant mais aussi limitant

 

Toutes les sciences citoyennes ne connaissent pas ce succès. Le Dr Bahaaeddin Alhaddad vient d’en faire l’amère expérience. Dans le cadre du projet Crowd4Sat, il espérait pouvoir faire appel aux randonneurs catalans pour évaluer la couverture neigeuse dans les Pyrénées et ainsi valider, ou non, la pertinence des images de ces régions obtenues par satellites.

 

Le problème dans ce cas, pour les chercheurs, est que la signature de la neige observée depuis les capteurs spatiaux n’est pas toujours simple à identifier. La présence de nuage peut, par exemple, induire les satellites en erreur. Afin de valider les protocoles d’interprétation des données satellitaires, des vérifications au sol sont les bienvenues. Notamment pour déterminer la fonte de ces champs de neige, qui jouent un rôle important dans le débit des rivières. D’où l’idée de solliciter les randonneurs.

 

La mise à disposition d’une application simple et utile ne suffit pas

 

“Nous leur avons fabriqué une petite application simple pour leur smartphone”, explique le Dr Alhaddad. “Il suffisait de prendre une photo du champ de neige et de nous l’envoyer par la suite en nous précisant qu’il s’agissait bien de neige. L’application proposait aussi aux randonneurs, juste avant leur départ pour la montagne, des informations sur l’état de la couverture neigeuse théorique, tel qu’observé par les satellites. De quoi leur permettre de réorienter éventuellement leur balade”.

 

Application "Crowd4Sat".
Application “Crowd4Sat”.

 

Malgré cette simplicité d’utilisation et l’accès à des informations potentiellement utiles, ce volet de l’expérience Crowd4Sat a été un échec. “L’appli a été téléchargée par bon nombre de personnes, souligne le chercheur. Mais nous n’avons reçu quasi aucune donnée par la suite”.

 

Par contre, l’autre volet de cette expérience de sciences collaborative, mené en Italie, a été un succès. Il ne s’agissait pas, cette fois, de partir en expédition dans la montagne pour alimenter le projet en données, mais bien de livrer des informations sur son environnement proche, voisin. “Sans doute une des clés de ce succès”, conclut le Dr Alhaddad.

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