Comment évaluer au mieux la toxicité neurologique de certains produits chimiques relâchés dans l’environnement? C’est sur cette question qu’a travaillé une équipe internationale de chercheurs comprenant trois scientifiques de l’Université le Namur, le Pr Frédéric Silvestre, de l’Unité de recherche en biologie environnementale et évolutive (URBE), ainsi qu’Alessandra Carion (aspirante FNRS) et Victoria Suarez Ulloa. Ils font le point sur l’état des connaissances en matière d’éco-neurotoxicité.
« Les produits chimiques neurotoxiques, comme le plomb ou des produits organiques, sont soupçonnés de produire des changements dans le comportement de certaines espèces comme les poissons et la faune sauvage. Par exemple lors de rituels d’accouplement ou encore dans leurs habitudes alimentaires », indiquent les 26 scientifiques qui ont participé à cette étude.
« Mais aussi altérer la santé de ces spécimens, induire un déclin de leur population et au final impacter l’environnement.».
Effets neurotoxiques
« Chez les animaux sauvages, comme chez l’homme, les premiers stades de la vie sont particulièrement sensibles à la présence de ces agents toxiques. Les effets neurotoxiques induits dès les premiers stades de la vie ne sont pas toujours directement visibles », écrivent-ils dans Environmental Sciences. « C’est le cas d’une intoxication au plomb par exemple. L’exposition à des composés neurotoxiques peut déclencher des effets à long terme, notamment en perturbant l’ épigénétique ».
De même, le risque que représentent les polluants neurotoxiques pour les espèces sauvages et les écosystèmes naturels, est de plus en plus interpellant. Actuellement, l’évaluation de ce risque est rendue difficile par le manque évident de données scientifiques fiables.
Et c’est précisément à ce niveau que les chercheurs namurois, et leurs collègues allemands, qui ont travaillé ensemble sur cette problématique, proposent certaines pistes de réflexion.
30.000 composés chimiques
« Ce risque est d’autant plus grand que nous savons qu’environ un tiers des composés chimiques utilisés par l’homme a une action neurotoxique potentielle. Cela représente environ 30 000 composés chimiques ! », précise encore Frédéric Silvestre.
Dans son article, l’équipe fait le point sur l’état des connaissances en matière d’éco-neurotoxicité.
Les chercheurs ont ainsi identifié le danger, les modes d’action, les mesures biologiques (bioassays) et chimiques à envisager afin d’évaluer le risque environnemental que représente l’utilisation de composés potentiellement neurotoxiques.
Pour faire avancer la recherche dans ce domaine, les chercheurs recommandent l’utilisation privilégiée de méthodes alternatives à l’expérimentation animale, avant d’étendre les études par une batterie de tests utilisant des espèces appartenant à différents niveaux de la chaîne trophique.
Dans cette publication, les chercheurs dégagent également des pistes afin d’évaluer, à l’avenir, le risque éco-neurotoxique pour les écosystèmes et de prendre des mesures pour préserver la biodiversité.
Utiliser au mieux les tests in vitro, in silico et in vivo
« Actuellement, l’évaluation de la neurotoxicité est surtout effectuée pour prédire et prévenir les dommages à la population humaine », indique l’équipe. Malgré les efforts de ces dernières années dans le développement de nouveaux tests in vitro ou in silico, les tests in vivo sur des rongeurs restent les seuls tests acceptés pour l’évaluation du risque de neurotoxicité en Europe.
« Et en dépit d’un nombre croissant d’espèces présentant une altération du comportement, l’évaluation de la neurotoxicité pour les espèces en liberté l’environnement n’est pas effectuée », constatent-ils.
Vu le nombre croissant de contaminants environnementaux présentant un potentiel neurotoxique, la neurotoxicité devrait également être prise en compte dans l’évaluation des risques.
« Pour ce faire, il faut développer de nouveaux systèmes d’évaluation. Sur le terrain, cela pourrait passer par un suivi des comportements des êtres vivants afin de détecter d’éventuels effets neurotoxiques », proposent-ils. “Des analyses complémentaires pourraient alors être réalisées afin d’identifier les produits neurotoxiques responsables de ces effets”.
De plus, les calculs de la pression toxique combinés à la modélisation des mélanges pourraient utiliser les données de surveillance chimique de l’environnement pour prédire les effets nocifs, et établir l’ordre de priorité des polluants à analyser en laboratoire.
“Afin de pouvoir procéder à une évaluation des risques pour l’environnement, les analyses doivent se concentrer sur les espèces les plus sensibles de l’écosystème. Une batterie de tests utilisant des espèces de différents niveaux trophiques pourrait être la meilleure approche”, suggèrent-ils.