Roxane Toniutti, alors étudiante en dernière année de psychologie à l’Université de Liège (ULg), a fait des effets des jeux vidéo sur la santé mentale son sujet de prédilection. Ceux-ci étaient, en effet, souvent pointés du doigt après des tueries collectives orchestrées par des adolescents. Comme celle tristement célèbre de Colombine.
« Le discours à leur sujet après de tels évènements est, à chaque fois, très peu nuancé. Dans le cadre de l’affaire de Colombine, ce sont les jeux vidéo et la musique métal qui étaient, soi-disant, à l’origine du drame. Pourtant, il y a une bonne partie de la population qui joue aux jeux vidéo et qui est loin d’être délinquante », explique Roxane Toniutti.
L’étudiante décide de faire des jeux vidéo son sujet de mémoire. Elle est secondée par le Dr Cécile Mathys, assistante au Département de Psychologies et aux Cliniques des systèmes humains de l’ULg.
Deux approches théoriques
En matière de jeux vidéo, deux écoles s’affrontent. La première estime qu’ils servent d’exutoire et qu’ils peuvent donc éviter d’en arriver aux mains. La seconde, au contraire, pense qu’ils peuvent servir d’accélérateur et augmenter les risques de passer à l’acte.
Les choses sont évidemment plus compliquées. Pour démêler le vrai du faux, il faut se pencher sur les processus mentaux qui poussent une personne à adopter un comportement agressif ou violent. Pourquoi une personne bascule-t-elle dans l’agressivité ? Quel a été l’élément déclencheur ? Que s’est-il passé dans sa tête juste avant son passage à l’acte ?
Le biais d’attribution hostile
De précédentes études avaient montré que l’exposition à des médias violents – le journal télévisé, des clips, des films, des jeux vidéo – pouvait affecter les émotions et les cognitions d’une personne et rendre ainsi son état d’esprit plus hostile. À tel point qu’elle peut avoir une idée erronée des intentions d’autrui. C’est ce que les spécialistes appellent « le biais d’attribution hostile ».
« Le biais d’attribution hostile est une erreur d’appréciation d’une attitude ambiguë qui pourrait mener à une réaction violente », explique Cécile Mathys. « Dans une cour de récréation, par exemple, un enfant demande à ses camarades de jouer avec lui et tout le monde le regarde sans que personne ne lui réponde. Dans le cas d’un biais d’attribution hostile, il s’imagine qu’ils se moquent tous de lui. Alors qu’ils sont peut-être juste en train de se demander s’il est possible de jouer avec une personne de plus ».
Ce lien, entre l’utilisation de jeux vidéo et le biais d’attribution hostile, a été étudié dans quatre écoles primaires de Liège.
King Of Fighters XII vs Fifa : 10
Au total, 43 garçons ont accepté de se prêter au jeu. Ils ont pris les commandes, pendant 15 minutes, d’un jeu vidéo prédéfini. Certains ont joué à King Of Fighters XII, un jeu de combat tandis que d’autres se sont essayés à FIFA : 10. Ce dernier est un jeu de football.
Avant et après les séances de jeu, ils ont été soumis à des tests permettant d’étudier le biais d’attribution hostile. Pour ce faire, différentes petites histoires leur ont été distribuées. Celles-ci mettaient en scène des situations ambiguës de deux types :
- Des comportements ambigus susceptibles d’avoir des répercussions négatives sur des biens matériels ou sur l’intégrité physique d’un des personnages. Ce qu’on appelle le biais d’attribution hostile instrumental. Exemple : un enfant vient à l’école avec son MP3 et lorsqu’il le prête à un de ses copains, il le récupère cassé. Est-ce que ledit copain l’a fait exprès parce qu’il est méchant ? Est-ce un accident ? Deux interprétations bien différentes.
- Des comportements ambigus qui influencent plutôt sur les relations sociales des personnages. Ce qu’on appelle le biais d’attribution hostile relationnel. Exemple : Un enfant croise un groupe de copains en rue et quand il les appelle, ils ne répondent pas. Le font-ils exprès ? Ou n’ont-il simplement pas entendu ? » détaille Roxane Toniutti.
Violent et non-violent : même combat
Le résultat obtenu par l’équipe liégeoise, publié dans la Revue de Psychoéducation, 42(2), 357-376, est clair. Le caractère violent et non violent du jeu n’a eu aucun effet sur le comportement des jeunes.
« Qu’ils aient joué à King Of Fighters XII ou à FIFA : 10, ils ont eu les mêmes réactions face aux différentes histoires. Ils avaient tous tendance à interpréter négativement la situation ambiguë. C’est un résultat surprenant par rapport à ce qu’on dit généralement des jeux vidéo», indique Cécile Mathys.
« Nous tenons cependant à nuancer notre résultat : il possible que le jeu de football, qui induit un esprit de compétition avec un contact physique, ne soit pas suffisamment « calme » pour la comparaison. Il serait intéressant de reproduire cette étude avec un jeu de réflexion de type Tétris, par exemple. »
Pour être tout à fait précis, il faut cependant noter que le simple fait de jouer à un jeu vidéo augmente légèrement mais significativement la probabilité de considérer une situation ambiguë comme hostile.
« Cela nous pousse à croire qu’il vaut mieux que l’utilisation des jeux vidéo soit encadrée par un parent », précise encore Roxane Toniutti. « Si le contenu violent d’un jeu vidéo est un facteur qui n’a pas de conséquence directe sur le biais d’attribution hostile, la multiplication de facteurs de risque peut amener au comportement violent ».
Les Belges « accros »
En Belgique, 53 % de la population joue à des jeux vidéo, indique la Fédération européenne des logiciels interactifs (« Interactive software federation of Europe », basée à Bruxelles), dans son rapport « Video games in Europe, Consumer study, novembre 2012, Belgium ».
Ce secteur industriel en Europe « pèse » 16 milliards d’euros (chiffre 2013).
Une étude similaire menée par la Fédération américaine (Entertainment Software association), montre que les jeux vidéo les plus vendus étaient d’abord des jeux d’action (22,3%) puis des jeux de tir (« shooter ») 21,2 %, suivis par les jeux sportifs (15,3%).