Notre organisme porte en lui et sur lui des myriades de microbes. Quelles en sont les conséquences ? La science avance pas à pas dans la compréhension des relations entre nous-mêmes et ces hôtes dont nous ignorons le plus souvent la présence.
Des microbes, il y en a partout! Il ne faut pas oublier qu’il s’agit des êtres vivants les plus anciens dans l’évolution et que – pour dire les choses brièvement – les organismes supérieurs, dont nous faisons partie, sont en quelque sorte des assemblages de descendants évolutifs de ces microbes. Il ne faut donc pas s’étonner qu’ils forment avec nous des associations biologiques pour le meilleur et pour le pire. Ce qu’on appelle microbiome ou microbiote, c’est l’ensemble des bactéries et autres micro-organismes que nous portons en nous et sur nous.
Par extension, les chercheurs ont aussi donné le nom de microbiome à l’ensemble des génomes des micro-organismes qui occupent une niche donnée. Un gigantesque projet de recherche appelé « Human Microbiome Project » a été lancé en 2007 aux Etats-Unis par les National Institutes of Health. Plusieurs équipes belges y participent. Son objectif est de déchiffrer la séquence génomique de tous les micro-organismes vivant habituellement dans notre corps et à sa surface et de comprendre leur interaction avec la santé et les maladies de l’homme.
Chacun à sa place
Leur nombre est véritablement astronomique : ils sont des centaines de milliards. Pour s’en convaincre, il suffit de dire à propos du microbiome intestinal, celui dont on parle le plus aujourd’hui, qu’il contient beaucoup plus de bactéries que notre corps lui-même ne contient de cellules. Daily Science aura l’occasion de revenir dans un autre article sur les multiples rôles que ce microbiome joue dans la santé et la maladie.
Le laboratoire des Prs Nathalie Delzenne et Patrice Cani, à l’UCL, s’est forgé une solide réputation mondiale dans ce domaine et nous en reparlerons. Attachons-nous donc plutôt à découvrir quelques aspects des autres microbiomes, ceux qui ont élu domicile en d’autres endroits de dans notre corps. Le premier lieu auquel on pense est bien évidemment la peau, puisqu’elle est en contact avec le milieu extérieur, environnement dans lequel les microbes sont abondants. Il y a des différences de populations selon les endroits de la peau : les mains n’ont pas les mêmes profils bactériens que les aisselles ou les creux inguinaux. Les chercheurs s’y intéressent depuis longtemps. Les uns sont des « résidents permanents », les autres sont transitoires, d’autres enfin sont présents « par accident ».
Première barrière
Les microbes de notre peau présentent à leur surface, comme tous les organismes vivants, des molécules qui leur sont caractéristiques et que notre système de défense (ici les composantes immunitaires de la peau) reconnaît. Le métabolisme de ces mêmes microbes fabrique toute une série de substances qui sont rejetées dans le milieu extérieur. Des récepteurs de l’immunité présents dans notre peau les reconnaissent et cela déclenche une activation de nos défenses, qui non seulement maintiennent les populations bactériennes cutanées en respect mais encore luttent contre de nombreux virus et champignons microscopiques ou autres parasites.
Bref, la flore cutanée normale contribue à l’immunité locale, tout comme le fait la flore intestinale, ce qu’on sait depuis pas mal de temps déjà. Et lorsque cet équilibre est rompu, l’infection surgit. Le fameux impétigo, dû à certains staphylocoques, en est un exemple dramatique mais il y a bien pire encore. Et l’acné, elle-même, n’est pas étrangère à ce mécanisme, puisqu’une de ses caractéristiques est le développement d’un microbe appelé Propionibacterium acnes.
Bonne ou mauvaise odeur
La bouche est une autre niche microbienne à laquelle on pense aisément. Les anciens disaient que la morsure de l’homme est l’une des plus terribles qui soient. Ils visaient, bien entendu, la « morsure » verbale, les mots assassins que l’on peut proférer à l’égard d’une autre personne. Mais ils ne croyaient pas si bien dire à propos de la morsure physique, qui est heureusement rare. La raison est l’énorme variété de germes, utiles ou nuisibles, que l’on peut y trouver.
Donnons quelques exemples. Ainsi, ce sont des bactéries qui sont à l’origine de la formation du tartre, cette couche dure qui peut se déposer sur nos dents quand nous mangeons trop de sucres. Ce sont aussi des bactéries qui provoquent la gingivite ou inflammation des gencives. Mais d’autres peuvent causer des angines, des abcès, etc. Toutes ces bactéries sont présentes dans notre bouche mais elles ne posent de problèmes que si elles se développent en excès et cela n’est possible que si les « bonnes » bactéries ne sont plus présentes en nombre suffisant.
Ici encore, on comprend combien l’équilibre entre « bonnes » et « mauvaises » bactéries est important. La bouche est d’ailleurs un lieu particulier car elle se constitue de plusieurs « habitats » différents dont les occupants sont différents de l’un à l’autre : la salive, les dents, la langue, le palais, les gencives, … Et les équilibres sont différents dans chacun de ces « habitats ». Et on commence à étudier le rôle d’autres types de micro-organismes, comme les champignons microscopiques et les levures, pour s’apercevoir, par exemple, que l’introduction d’appareillages liés aux soins dentaires (prothèses, résines, etc.) modifie les relations entre les différentes espèces présentes dans les niches concernées. On découvre aussi de plus en plus d’effets bénéfiques de certains micro-organismes présents dans la bouche. Par exemple, il en existe qui, en consommant des composants produits par d’autres dans la bouche, évitent la mauvaise haleine.
Même le placenta
Ce qui est encore beaucoup plus surprenant, c’est qu’on a récemment découvert la présence d’un microbiome dans le placenta, cet organe qui assure la nutrition du fœtus pendant la grossesse. On croyait jusqu’à présent qu’en situation normale, les tissus qui le composent étaient stériles, totalement indemnes de colonisation bactérienne. Si on y trouvait des bactéries après la délivrance (expulsion du placenta après l’accouchement) c’est parce qu’il avait été contaminé lors du passage par la cavité vaginale de la maman, pensait-on. Des acteurs du « Human Microbiome Project » ont eu la curiosité de chercher plus loin et d’analyser soigneusement le génome de ces bactéries. La plupart d’entre elles sont des bactéries typiques de l’intestin. Elles sont loin d’être toutes dangereuses et certaines fabriquent même des vitamines.
C’est dire que cette découverte ouvre la voie à de nombreuses recherches d’un type nouveau en obstétrique. D’ailleurs, il y a plus curieux encore : certaines autres bactéries du placenta ressemblent à des espèces que l’on trouve dans … la bouche. On ne comprend pas encore bien ce constat mais l’hypothèse serait que la future maman envoie ces microbes dans son sang lorsqu’elle se brosse les dents. Ce fait est connu et pourrait expliquer que quelques spécimens, voyageant ainsi dans le sang, aillent s’installer dans le placenta. Cela voudrait dire que la santé buccale de la maman a une importance pour la vie de l’enfant qu’elle porte, car si elle lui envoyait des bactéries nuisibles à partir de sa bouche mal soignée, le pire pourrait être à craindre. Mais cela aussi, cela reste à vérifier.
Des îlots dans les poumons
La frénésie continue. Les recherches se déroulent tous azimuts. Ainsi, on commence même à s’intéresser au microbiome du sein. L’avenir nous dira ce qu’il en est. Celui des poumons – et plus largement des voies respiratoires – stimule aussi la curiosité des scientifiques. Et là encore, la surprise est d’apprendre qu’à côté de ces petites bestioles qui sont nuisibles et peuvent provoquer rhinites, sinusites, trachéites, bronchites et autres pneumonies, certaines bactéries des voies respiratoires jouent un rôle favorable.
Une des principales origines des populations microbiennes des poumons est la flore buccale, dont des composants sont régulièrement déglutis et passent en partie dans les voies respiratoires inférieures au lieu de se diriger vers l’estomac. Certes, le nombre des microbes normalement présents dans les poumons est de très loin inférieur à celui des intestins. Et ce qui est particulier, c’est que leur répartition n’est pas homogène et qu’ils forment de petits îlots épars. Mais en cas de maladie, on constate un appauvrissement de la diversité des espèces présentes et un glissement vers d’autres profils d’ « habitants ». Les mécanismes et les raisons de ces modifications ne sont pas encore bien compris et on voit bien que là comme ailleurs, il reste du pain sur la planche pour les chercheurs.
On peut espérer que lorsque les connaissances seront plus approfondies, on pourra peut-être intervenir dans la prévention et peut-être aussi dans le traitement de nombreuses affections.
Références
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