« Supprimer les PAI, c’est encourager la fuite des cerveaux »

12 septembre 2014
par Christian Du Brulle
Durée de lecture : 6 min

Les Pôles d’attraction interuniversitaires (PAI), un des outils les plus performants de la Politique scientifique fédérale belge, sont menacés de disparition. Toute la communauté scientifique se mobilise, en Belgique comme à l’étranger, pour tenter de sauver ce programme d’excellence « national », un des derniers du genre.

 

La pétition pour le maintien des PAI lancée il y a trois semaines par les scientifiques du pays a déjà recueilli près de 4000 signatures. Même le Prix Nobel de Physique 2013 le Professeur François Englert (ULB) s’est fendu d’une lettre ouverte aux futurs dirigeants du pays pour défendre ce programme d’exception.

 

Un programme de coopération nationale

 

Les Pôles d’attraction interuniversitaires (PAI) sont un programme fédéral favorisant la recherche fondamentale et l’excellence scientifique entre chercheurs du nord et du sud du pays.

 

Ce programme en est à sa 7e phase et fonctionne à la plus grande satisfaction des scientifiques, toutes disciplines confondues. Son attrait est aussi reconnu à l’étranger. Les PAI mettent les chercheurs en réseau. Ils concentrent et développent leurs expertises. Ils incluent souvent des scientifiques étrangers et assurent une meilleure visibilité des chercheurs belges à l’échelon international.

 

Le programme des PAI a été lancé en 1987. Il compte jusqu’à présent sept phases de cinq ans chacune. En trente ans, l’Etat fédéral y a consacré 670 millions d’euros.
Le programme des PAI a été lancé en 1987. Il compte jusqu’à présent sept phases de cinq ans chacune. En trente ans, l’Etat fédéral y a consacré 670 millions d’euros.

 

C’est cet outil de choix qui est aujourd’hui menacé. Dans l’état actuel des choses, les PAI sont appelés à disparaître en 2017. Sauf si le futur gouvernement fédéral décide de les maintenir à flot, voire… de l’amplifier!

 

Victime collatérale de la 6e réforme de l’Etat

 

La menace qui plane sur les PAI résulte de la 6e réforme de l’Etat. « Une réforme difficilement négociée au terme de plus de 500 jours de crise politique en Belgique », rappelle le Pr Andreas De Leenheer, ancien président et ancien recteur de l’Université de Gand (UGent).

 

L’enterrement programmé des PAI remonte à l’époque des premières phases de ces négociations institutionnelles. A l’époque, la N-VA avait introduit le concept de compétences fédérales « usurpées ». Le parti nationaliste estimait que toute une série de compétences fédérales étaient usurpées. Le point de vue défendu était en substance le suivant : l’argent que l’Etat fédéral alloue à des chercheurs relevant des Communautés (comme les universités par exemple, premières concernées par les PAI) pourrait très bien être géré par les Communautés elles-mêmes.

 

D’où le détricotage politique des Pôles d’Attraction Interuniversitaires. Un programme de collaboration scientifique fonctionnant pourtant de manière optimale, comme en atteste le nombre de publications scientifiques généré par ces réseaux : plus de 2000 par an!

 

Pas vraiment de transferts des moyens financiers

 

« La communautarisation des PAI sera une perte sèche pour la Science belge », indique Philippe Mettens, le président du Comité de direction de la Politique scientifique fédérale (Belspo), le service de l’Etat qui gère effectivement les PAI. « Les montants en jeu sont faibles », note-t-il. « Nous en sommes à 160 millions sur 5 ans pour la 7e phase ». Pour mémoire, le budget annuel global de la Politique Scientifique est de plus d’un demi milliard d’euros par an.

 

Si la 6e réforme de l’Etat a prévu, pour 2017, la scission des PAI via leur transfert aux Communautés, la question des moyens financiers à transférer en parallèle reste assez nébuleuse.

 

« L’organisation des budgets de l’Etat est telle que je ne suis pas certain que les moyens alloués actuellement aux PAI existeront encore en 2017 ni comment dès lors, les transferts financiers les concernant vers les Régions et les Communautés pourraient effectivement se mettre en place », souligne Philippe Mettens. « Je pense que lorsque la communautarisation interviendra, il n’y aura plus de budget à transférer ».

 

Le F.R.S. – FNRS et  le FWO envisagent l’avenir

 

Rien ne dit dès lors que ces réseaux scientifiques d’excellence fédéraux pourront renaître sous une forme co-gérée par des organes communautaires. Par exemple dans le cadre d’une collaboration entre le Fonds de la Recherche Scientifique – FNRS (F.R.S.-FNRS) et son alter ego néerlandophone, le Fonds Wetenschappelijk Onderzoek – Vlaanderen (FWO). Ces deux organisations gèrent une bonne partie des moyens dédiés à la recherche fondamentale dans le pays.

 

« Nous avons déjà eu des discussions avec le FWO sur l’élaboration d’un programme commun qui s’inspirerait des PAI », explique Véronique Halloin, la Secrétaire générale du F.R.S.-FNRS. « Cela a débouché sur un accord de collaboration de principe. Mais la question des ressources et de la portée de ce programme commun sont loin d’être entérinés ».

 

Fuite lente mais inéluctable

 

Le risque majeur lié à la disparition des PAI est limpide. Tant aux yeux de Philippe Mettens (Belspo) que du Pr Andreas De Leenheer (UGent), la disparition des PAI va inéluctablement se traduire par un appauvrissement de notre potentiel scientifique et par un exode assuré des cerveaux belges vers l’étranger.

 

« Ce ne sera pas une fuite massive et brutale », estime le Pr De Leenheer. « Mais les meilleurs chercheurs, tant du Nord que du Sud du pays, seront recrutés par des laboratoires et des universités étrangers où ils pourront continuer à produire une science de très haut niveau », prédit-il. Au final, cela se ressentira aussi sur la compétitivité des Universités et par ricochet des entreprises belges. La recherche fondamentale nourrit en effet la recherche appliquée.

 

Dans sa lettre ouverte, le Pr François Englert ne dit pas autre chose. Il souligne que « les acquis conceptuels et pratiques de la recherche fondamentale ont transformé la société. De manière directe ou souvent indirecte, cette recherche fut à l’origine de pratiquement tous les développements techniques qui sous-tendent la civilisation contemporaine. Si la recherche fondamentale a pu avoir un tel impact, c’est bien sûr par les applications techniques qui en ont résulté, mais c’est aussi, et peut-être davantage, parce que son appel constant à la créativité la rend exemplaire. Sans réelle créativité, il n’y a pas de vrai progrès technique. Sans elle, la recherche appliquée n’aboutit qu’à des copies sans avenir qui signalent surtout le danger d’un glissement vers un sous-développement scientifique et technique durable ».

 

Pour les formateurs du prochain gouvernement fédéral belge, le message est limpide. Dilapider le potentiel scientifique élaboré tout au long des PAI, c’est hypothéquer à coup sûr tout un pan du développement économique et à la création d’emplois dans le pays.

 

Alors que les formateurs abordent la question du budget de l’Etat et le volet socio-économique de leur futur programme gouvernemental, cet argument ne devrait pas passer inaperçu.

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