Le Dr Véronique Dehant (Observatoire royal de Belgique), à l'Observatoire de Paris. © Véronique Pipers
Le Dr Véronique Dehant (Observatoire royal de Belgique), à l'Observatoire de Paris. © Véronique Pipers

Véronique Dehant, Docteur Honoris Causa de l’Observatoire de Paris

20 novembre 2014
par Véronique Pipers
Temps de lecture : 5 minutes

Le professeur Véronique Dehant est mathématicienne et astrophysicienne. Elle est également responsable de la Direction opérationnelle « Systèmes de Référence et Planétologie » et chef de section à l’Observatoire royal de Belgique. Le Pr Dehant vient de se voir décerner le titre de Docteur Honoris Causa à l’Observatoire de Paris. Une belle occasion de discuter à bâtons rompus avec cette scientifique de haut vol, qui est aussi une femme de cœur et de caractère.

 

 

Pr Dehant, vous venez de recevoir une distinction exceptionnelle. Que représente-t-elle pour vous ?

Le Pr Véronique Dehant, mathématicienne et astrophysicienne. © Véronique Pipers
Le Pr Véronique Dehant, mathématicienne et astrophysicienne. © Véronique Pipers

 

Cette distinction est un honneur qui me touche énormément. Je la vois comme une reconnaissance de mes travaux mais surtout de la collaboration étroite entre l’Observatoire royal de Belgique et l’Observatoire de Paris.

 

 

Où et comment doit se développer le goût de satisfaire sa curiosité ?

J’ai toujours été baignée dans un milieu où l’on se pose des questions sur la science. Alors que j’étais toute petite, mon père m’expliquait déjà plein de choses et en particulier il s’interrogeait à haute voix sur les raisons physiques des phénomènes. S’il ne connaissait pas les réponses, nous les cherchions ensemble dans des encyclopédies. C’est dès le plus jeune âge que la curiosité doit être éveillée.

 

Le philosophe Michel Serres a dit « La vraie démocratie passe par une sorte de loi de trois états : la révélation du mystère d’abord, la divulgation ensuite, et enfin la vulgarisation. La vraie démocratie, c’est la perte totale des secrets. La vraie science c’est la publication des secrets, et la démocratie, c’est l’accès universel à toute information. » Qu’en pensez-vous ?
Je ne parlerais pas de « mystère ». La recherche est faite d’une suite de questions. Le mot « mystère » résonne pour moi comme surnaturel, or on s’interroge justement sur le naturel. Ensuite Michel Serres parle de divulgation ; il est essentiel en science de divulguer, publier ses résultats est d’ailleurs devenu un mode d’évaluation des scientifiques. Enfin la vulgarisation est importante, elle aussi, car il faut partager avec la société les découvertes des scientifiques. Mais à nouveau je ne parlerais pas de « secrets ». Il n’y a pas de secret en science. On ne peut avancer seul dans un domaine de recherche. Le partage des connaissances et des résultats, la multidisciplinarité et la collaboration sont indispensables à l’avancement de la science.

 

Les mathématiques ont été le fondement de la philosophie. Pourquoi ne le sont-elles plus aujourd’hui ?

 

Il est vrai que la philosophie est plus proche de la cosmologie ou de la physique fondamentale à l’heure actuelle. Les meilleurs anciens astronomes étaient d’excellents mathématiciens. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. L’arrivée des ordinateurs n’est pas étrangère à ce phénomène.

A quoi sert le progrès ?

 

Le progrès est merveilleux ! Et la recherche fondamentale est un de ses piliers ! Il ne faut absolument pas balayer la recherche.

 

Quel conseil donneriez-vous aux scientifiques de demain ?
Dans mon discours à l’occasion de ce Doctorat Honoris Causa, j’ai justement voulu transmettre un message aux jeunes scientifiques. J’y ai mentionné cinq mots-clés pour la réussite personnelle : travail, passion, collaboration, engagement, et équilibre.

 

Quelle est selon vous la qualité première d’un bon scientifique ?

 

Être passionné, curieux, innovant, communicatif, équilibré.

De quelle vertu ne peut-il pas faire l’économie ?
L’honnêteté scientifique.

 

Nous vivons dans un monde d’experts, très compartimenté. Ne risque-t-on pas de perdre pied avec la réalité complexe ?
Oui, c’est un risque certain. Il faut rester à l’écoute et s’intéresser au travail des autres scientifiques. Chaque scientifique met une pierre à l’édifice et cette pierre est essentielle à la construction de notre connaissance mais nous ne pouvons pas construire seul, on se casserait le dos.

Qu’est-ce qui vous fâche tout particulièrement ?
Rien ne me fâche réellement. Je suis parfois déçue d’un comportement ou d’une réaction. Mais j’arrive le plus souvent à trouver une justification même à une mauvaise action. C’est mon caractère. Je suis une éternelle positive !

 

Quelle est la découverte qui vous a rendue la plus heureuse au cours de votre carrière de chercheuse ?

 

Toutes les découvertes m’ont rendue heureuse mais aucune ne m’a satisfaite : en science lorsqu’on répond à une question, dix nouvelles questions surgissent. On n’a jamais fini de comprendre.

 

Que manque-t-il à la recherche scientifique ?

 

A l’heure actuelle, le financement ! Je voudrais tellement rendre pérenne le statut de mes chercheurs. Je comprends l’angoisse de cette épée de Damoclès au-dessus de leur tête : à la fin de tel projet, y aura-t-il un contrat pour me permettre de continuer ma recherche ? Je veux les rassurer, : le monde a besoin de comprendre et de la recherche. On ne peut pas faire abstraction de celle-ci, mais j’ai des difficultés à les convaincre de rester. D’autre part, le nombre de jeunes dans les domaines scientifiques diminue à faire peur…

 

La longueur de votre CV, la richesse et la diversité de vos publications et titres sont hallucinantes. Comment fait-on pour faire tant de choses en si peu de temps ?

 

Je ne vais pas mentir, il faut bosser ! Il n’est pas rare pour moi d’aller me coucher au-delà de minuit et de me lever avant 6h du matin.
Il faut s’entourer de gens qui vous soutiennent et qui vous encouragent.  Des gens qui peuvent vous conseiller dans des choix de vie ou de recherche. J’ai connu des « sages » dans ma vie, des « mentors » qui ont été là et m’ont bien conseillée. D’ailleurs je m’investis moi-même dans une mission de mentor vis-à-vis de jeunes chercheuses et chercheurs, en particulier dans le cadre de BeWiSe (BElgian Women In SciencE), au cas où elles ou ils ne bénéficieraient pas de ce soutien autour d’eux.

Quelle est votre priorité pour les 20 ans à venir ?

 

D’un point de vue scientifique, je voudrais mieux comprendre l’habitabilité de notre système solaire, un domaine dans lequel j’ai obtenu un projet de Pôles d’Attraction Interuniversitaires (PAI). Des scientifiques d’universités du Nord et du Sud du pays, des Instituts fédéraux travaillent ensemble pour tenter de répondre à cette question avec des spécialistes de la vie primitive, des météorites, des atmosphères et des intérieurs des planètes et de leurs évolutions. On revient à cette notion d’interdisciplinarité et de collaboration.
Je voudrais aussi comprendre les dernières observations de l’orientation de la Terre qui montre encore des variations non-expliquées. Pour cela, il faudra faire à nouveau appel à des notions de géophysique de l’intérieur profond de la Terre.

 

Et puis surtout observer les variations de l’orientation de Mars, un projet spatial qui verra sa réalisation en 2016 avec le lancement de la mission InSIGHT (Interior Exploration using Seismic Investigations, Geodesy and Heat Transport) dans lequel je suis très impliquée.
Dans un avenir plus lointain, il y a les missions vers les lunes de Jupiter : des mondes de glace passionnants dont certains possèdent des océans internes…

 

 

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