Section du LHC: une zone d'interconnection ouverte. © Dominguez, Daniel, Brice, Maximilien
Section du LHC: une zone d'interconnection ouverte. © Dominguez, Daniel, Brice, Maximilien

LHC « saison 2 » : cap sur la nouvelle physique

3 avril 2015
par Christian Du Brulle
Temps de lecture : 9 minutes

Après trois années d’exploitation et deux années d’arrêt technique, le Grand collisionneur de hadrons, le “LHC”, gigantesque accélérateur de particules du CERN, à Genève, est prêt à redémarrer. Ce sera pour ce week-end, voire la semaine prochaine. Et l’accélération va être décoiffante!

 

« Les équipes procèdent aux derniers tests après avoir résolu le 31 mars un problème qui retardait la remise en route de l’accélérateur », indiquait le CERN, jeudi 2 avril. « Nous sommes confiants de pouvoir redémarrer durant le week-end car tous les tests sont pour l’instant concluants », indique Frédérick Bordry, Directeur des accélérateurs et de la technologie du CERN.

 

Une montée en puissance progressive

 

Lorsque le LHC et l’ensemble de la chaine des accélérateurs sont en fonctionnement, les opérateurs se relaient jour et nuit dans le centre de contrôle. Ils tenteront de faire circuler des faisceaux dans le LHC dans les deux sens, à leur énergie d’injection de 450 GeV, dès que tous les voyants seront au vert.

 

Les premières collisions de particules à une énergie de 13 TeV sont attendues à partir du mois de juin.

 

« Pour la première fois, les énergies auxquelles les collisions se produiront vont atteindre des niveaux exceptionnels: 13 Téra électrons-volts (TeV), soit quasi le double de ce que nous connaissions lors de la première phase d’exploitation de la machine », s’enthousiasme le Pr Tiziano Camporesi, porte-parole de l’expérience CMS (Compact Muon Solenoid ), une des principales expériences installées sur le LHC. “Du jamais vu. Des énergies qui vont nous réserver bien des surprises et nous ouvrir une toute nouvelle fenêtre sur l’Univers”.

 

Un retour aux premiers instants de l’Univers

 

Le LHC, en faisant se percuter à haute énergie des protons, génère des conditions similaires à celles qui existaient aux premiers instants de l’Univers, lorsque la matière s’est formée. Augmenter les niveaux d’énergies, c’est remonter un peu plus dans le temps. C’est aussi sonder plus en détail la matière. Et qui sait, peut-être découvrir des particules élémentaires inconnues”.

 

“C’est le souhait des milliers de physiciens de par le monde impliqués dans l’une ou l’autre des quatre grandes expériences disposées sur l’anneau de 27 kilomètres du LHC”, précise le Pr Barbara Clerbaux, de l’IIHE, l’Institut Interuniversitaire des Hautes Énergies (ULB et VUB).

 

Comprendre le LHC en six minutes

 

 

Les universités belges dans la course

 

Avec les physiciens de diverses universités belges (Mons, Louvain-la-Neuve, Anvers, VUB et Gand), le Pr Clerbaux est impliquée dans l’expérience CMS: le Solénoïde compact à muons. Un détecteur de la taille d’un immeuble (21 mètres de long pour 15 mètres de haut) qui a permis de découvrir voici trois ans le fameux “boson scalaire” qui valut au Pr François Englert et à son collègue écossais, Peter Higgs, le Prix Nobel de Physique en 2013.

 

Le boson en question est un élément essentiel du modèle standard de la physique des particules, théorie qui décrit l’ensemble des particules élémentaires connues et leurs interactions. Dans ce modèle, le mécanisme de Brout-Englert-Higgs, qui a amené à prédire l’existence du boson, donne leur masse à toutes les particules élémentaires.

 

e=mc2 : une des lois les plus démocratiques de la Nature

 

Exemple de détection de la signature d'un boson de Brout-Englert-Higgs dans l'expérience CMS. © CERN
Exemple de détection de la signature d’un boson de Brout-Englert-Higgs dans l’expérience CMS. © CERN

“Pour comprendre les enjeux liés au redémarrage du LHC, il faut se remémorer cette célèbre équation: e=mc2 », reprend le Pr Camporesi. « C’est une des lois les plus démocratiques de la Nature. Elle indique tout simplement que l’énergie, c’est de la masse, et vice-versa”.

 

“En augmentant de manière très importante l’énergie disponible dans le LHC, cela nous donne accès à de nouvelles particules. Plus on apporte de l‘énergie, plus importante est la masse des particules que nous allons pouvoir créer et détecter. C’est automatique. Ce que nous ignorons, par contre, c’est quelles sont les particules que nous allons découvrir, et quand nous allons les découvrir…»

 

Cap sur la nouvelle physique

 

“Avec des énergies de l’ordre de 13 TeV, nous espérons pouvoir lever un coin du voile sur la nouvelle physique”, explique le Pr Barbara Clerbaux. “La théorie actuelle du Modèle Standard marche bien. Malheureusement, elle ne permet pas de décrire l’ensemble de ce qui se passe dans l’univers. A commencer par la présence importante de la mystérieuse matière noire”.

 

« Nous ne discernons en fait que 5% à peine de la matière qui baigne l’univers. Le reste nous est inconnu. En montant en puissance au LHC, nous pourrions arriver à en débusquer certains signes. C’est cela, notamment, la nouvelle physique. C’est aussi, la détection d’autres bosons scalaires par exemple, ou d’autres particules plus massives qui nous sont parfaitement inconnues aujourd’hui ».

 

Après son « entretien », le LHC est quasiment une nouvelle machine.

 

Le passage à 13 TeV constitue une vraie révolution pour les physiciens et pour les ingénieurs. “Ce sont des niveaux d’énergies jamais atteints dans un accélérateur, souligne Frédérick Bordry, le directeur des accélérateurs du CERN. Pour préparer cette nouvelle période d’exploitation à 13 TeV, il a fallu vérifier toute la machine, renforcer ses connexions, s’assurer que tout était prêt. Pour monter en puissance, nous allons devoir injecter davantage de courant dans les aimants qui dévient les faisceaux de protons. Nous avons donc dû, pendant l’arrêt technique, vérifier ces éléments indispensables de l’accélérateur et les renforcer. Nous disposons désormais quasiment d’une nouvelle machine”, estime-t-il.

 

“En réalité, 20 % des connecteurs du LHC ont été remplacés pendant l’arrêt de l’accélérateur”, confirme Rolf Heuer, le directeur général du CERN. “Les autres ont été renforcés. Sur les 27 kilomètres de l’accélérateur, les techniciens et les ingénieurs ont quasi ouvert le LHC tous les 20 mètres. Un travail de titan!”

 

Davantage d’énergie, mais aussi davantage d’événements à analyser

 

Outre l’amélioration du détecteur CMS, les quelques 110 physiciens belges impliqués dans le LHC ont également mis la main à la publication de dizaines d’articles scientifiques décrivant les découvertes réalisées pendant la première période d’exploitation du LHC. Les résultats ne cessent de sortir.

 

C’était encoure le cas tout récemment (le 17 mars dernier) lors de la 50e session des « Rencontres de Moriond », une rencontre scientifique en Italie. Les chercheurs des expériences ATLAS et CMS ont présenté pour la première fois une combinaison de leurs mesures de la masse du boson de Brout, Englert et Higgs. La masse combinée du fameux boson scalaire donne désormais une valeur de 125.09 GeV (rappelez-vous, la masse et l’énergie c’est kif-kif. Les physiciens “pèsent” donc les particules élémentaires en fonction de leur énergie), avec une précision record : supérieure à 0,2 %. C’est une des mesures les plus précises jamais obtenues au LHC.

 

“Désormais, nous nous préparons activement à recueillir de très grandes quantités de données pour la deuxième période d’exploitation du LHC. Notamment en affinant le déclencheur de CMS”, indique Barbara Clerbaux. “Il s’agit du système qui sélectionne parmi l’ensemble des collisions observées dans le détecteur CMS celles qui sont potentiellement intéressantes et qui déclenche leur enregistrement”.

 

Schéma de l'expérience CMS. © CERN
Schéma de l’expérience CMS. © CERN

 

“Les événements intéressants vont monter en flèche”, souligne encore la physicienne. “Lors du premier “run” (premières années d’exploitation du LHC), les paquets de protons entraient en collision toutes les 50 nanosecondes à 7 TeV. Dorénavant, ces collisions se produiront à 13 TeV et toutes les 25 nanosecondes.”

 

Un intérêt belge depuis les origines

 

Pour les Belges impliqués dans l’expérience CMS, la période qui s’annonce va être passionnante. Tout comme l’ont été les 60 dernières années de vie du CERN! “La Belgique est un des 12 Etats fondateurs du CERN”, rappelle de son côté le Dr Véronique Halloin, Secrétaire générale du Fonds pour la recherche scientifique (F.R.S.-FNRS), la principale instance de financement de la recherche fondamentale en Fédération Wallonie-Bruxelles.

 

Madame Halloin est aussi la déléguée belge au Conseil du CERN. Actuellement, la participation financière de la Belgique au budget de l’organisation internationale est d’une trentaine de millions de francs suisses. “Ce qui représente, en 2015, 2,76% de l’ensemble des contributions des 21 Etats membres (soit 1,1 milliards de francs suisses) », précise Véronique Halloin. Par ailleurs le CERN dispose encore de quelques revenus supplémentaires (à hauteur de 100 millions de francs suisses), notamment en provenance de l’Union Européenne.

 

Retombées scientifiques et technologiques

 

Cette fidélité est payante pour la Belgique. “Il y a les retombées scientifiques avec la production de nouvelles connaissances en physique des particules, le prix Nobel décerné à François Englert, le rayonnement et la visibilité internationale des chercheurs belges en physique”, rappelle la Secrétaire Générale du F.R.S.-FNRS. “il y a aussi des retombées pour la société, dans le sens où le CERN offre un cadre excellent et unique pour la formation de jeunes docteurs ou post-docs, hautement qualifiés, que le secteur public et privé aura tout intérêt à recruter.

 

Il ne faut pas perdre de vue non plus les retombées technologiques que la participation belge au CERN a permis de générer. “Elles portent sur le développement de nouvelles technologies, notamment en imagerie médicale, ou encore en techniques de calcul. Enfin, il y a aussi les retombées industrielles et donc économiques”, indique encore Véronique Halloin.

 

“La participation de la Belgique au CERN ne concerne pas exclusivement le monde scientifique, elle implique aussi les acteurs économiques. En effet, l’Organisation dispose d’un budget d’achats en matériel, de fournitures et prestations de services. Elle poursuit une politique d’achat en tenant compte du retour industriel allant à chaque pays membre. Ce qui crée des opportunités de contrats pour des entreprises belges”.

 

Pour être complet, on peut encore ajouter que les opportunités d’emplois au CERN même, pour les Belges, sont nombreuses. Avec 5% de personnel belge, notre pays y est d’ailleurs actuellement sur-représenté!

 

Pour l’heure, ce sont surtout les physiciens qui retiennent leur souffle. Pour les Belges comme leurs milliers de collègues dans le monde, le redémarrage du LHC s’apparente à une nouvelle plongée dans l’inconnu. Une plongée dans la “nouvelle physique” où les mystères de la matière noire pourraient bien trouver une ébauche d’explication, où l’observation d’objets comme les particules “supersymétriques” pourrait survenir, à moins qu’il ne s’agisse de la mise en évidence d’une nouvelle famille de quarks…

 

 

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