Peter Piot, au Forum économique mondial, en 2015. Photo Moritz Hager (CC BY-NC-SA 2.0)
Peter Piot, au Forum économique mondial, en 2015. Photo Moritz Hager (CC BY-NC-SA 2.0)

Ebola et sida, les combats du microbiologiste Peter Piot

31 juillet 2015
par Raphaël Duboisdenghien
Durée de lecture : 4 min
"Une course contre la montre", par Peter Piot, Editions Odile Jacob.
« Une course contre la montre », par Peter Piot, Editions Odile Jacob.

Tout a commencé à Anvers pour le microbiologiste Peter Piot. Chercheur et aventurier à ses débuts, le codécouvreur du virus Ebola est devenu directeur de l’Onusida puis de la London School of Hygiene & Tropical Medicine. Il raconte ses combats contre les maladies infectieuses dans «Une course contre la montre» aux éditions Odile Jacob (26,90 euros).

 

Le 29 septembre 1976, le laboratoire de microbiologie de l’Institut de médecine tropicale d’Anvers (www.itg.be) reçoit une petite bouteille isotherme en provenance du Zaïre. Peter Piot, chercheur assistant, et René Delgadillo, postdoctorant, l’ouvrent avec comme seule protection des gants de latex. Ils découvrent une «soupe» de glace à moitié fondue avec un tube à essai intact. Et une note détériorée du médecin belge Jacques Courteille qui exerce à la clinique Ngaliema de Kinshasa. Elle mentionne que le sang coagulé a été prélevé sur une religieuse flamande, trop souffrante pour être évacuée. La patiente est victime d’une maladie mystérieuse qui a emporté quelque 200 personnes en 3 semaines.

 

Être médecin pour voyager et sauver des vies

 

«À cette époque, je cherchais encore mon chemin dans le dédale des recherches sur les maladies infectieuses», explique le sexagénaire qui a consacré sa carrière aux virus Ebola et du sida. «Cette situation était pour moi vraiment palpitante. J’ai grandi en Flandre, à Keerbergen, et l’enfant que j’étais a toujours été fasciné par les récits d’aventures exotiques et lointaines. Il m’arrivait souvent d’enfourcher mon vélo pour rejoindre Tremelo. On y trouvait la maison de naissance du père Damien, missionnaire catholique. Et fierté locale du fait de son engagement héroïque aux côtés des lépreux.»

 

La vie de ce prêtre, qui a succombé à la maladie des Hawaïens relégués sur l’île de Molokaï, a aiguillonné le choix de Peter Piot d’entreprendre des études de médecine à Gand.

 

«Lorsque j’ai évoqué ma volonté de me spécialiser dans les maladies infectieuses, le verdict de mes professeurs fut unanime: c’était, selon eux, une grave erreur. Ce n’était pas un domaine d’avenir, elles ont toutes été vaincues. Qu’importe, je voulais partir pour l’Afrique. Je voulais sauver des vies. À mes yeux, les maladies infectieuses étaient le meilleur moyen d’y parvenir et d’élucider des mystères scientifiques. La microbiologie clinique excitait ma curiosité scientifique. Mais l’épidémiologie, c’était la promesse du frisson de l’enquête et de la découverte.»

 

Sur le terrain des épidémies

 

Après examen d’autres échantillons, l’Institut de médecine tropicale avance l’hypothèse d’un virus hémorragique. Les Étatsuniens et les Français vont sur le terrain. Les expatriés paniquent. À 27 ans, Peter Piot représente le gouvernement belge à Kinshasa pour enquêter et identifier le virus. Il se rend dans le nord du pays, à Yambuku, où tout a débuté. Les chauves-souris roussettes sont probablement le réservoir du virus qui est baptisé Ebola, eau noire en lingala, du nom d’une rivière proche du minuscule village.

 

Devenu à Anvers le médecin de référence pour les personnes qui reviennent d’Afrique, le chercheur examine des homosexuels souffrant de maladies déroutantes. Il se lance dans la lutte contre le sida. Le tueur numéro un dans les pays africains en 1991.

 

En février 2014, Peter Piot retourne à Yambuku pour fêter ses 65 ans. «Cette visite a montré que la marche de l’histoire n’est pas toujours synonyme de progrès. Mis à part les téléphones portables, omniprésents, la situation y était pire que dans les années 1970 et 1980. En revoyant Yambuku et en revisitant mes souvenirs des événements tragiques qui changeraient ma vie à tout jamais, je n’imaginais pas devoir travailler à nouveau sur Ebola. J’imaginais encore moins voir le virus provoquer une épidémie aussi grave, avec déjà 3 nations touchées, 20.000 personnes infectées et 7.500 morts à la fin de l’année 2014. Soit plusieurs fois le nombre total de victimes d’Ebola répertoriées depuis 1976, année de son identification. Le virus circule chez certains animaux d’Afrique centrale et d’Afrique de l’Ouest. Il y aura certainement d’autres épidémies à l’avenir.»

 

«Cette tragédie montre à nouveau que les épidémies de maladies infectieuses constituent une menace permanente», conclut le microbiologiste. «D’autres scénarios similaires émergeront probablement dans le futur. Cette épidémie témoigne également de l’importance que nous devons accorder à un système sanitaire efficace et équitable.»

 

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