Fusée Soyouz en route pour son pas de tir, avec à son bord OUFTI © ESA

Le compte à rebours est lancé pour le satellite liégeois OUFTI

22 avril 2016
Par Christian Du Brulle
Temps de lecture : 6 minutes
OUFTI1 © ESA
OUFTI1 © ESA

A Kourou, en Guyane française, ce n’est pas un, ni deux, ni même trois satellites qui vont être mis en orbite ce soir par une fusée Soyouz. Le fameux lanceur russe, qui en est à sa 1850e mission depuis le lancement de Spoutnik en 1957, mais sa 14e, seulement, depuis la Guyane,  emporte dans sa coiffe pas moins de cinq satellites. Et quels satellites! Parmi eux, un engin minuscule qui fait vibrer le cœur de beaucoup d’étudiants de l’Université de Liège: le satellite OUFTI-1.

Minuscule, OUFTI?

Cœur du satellite © ESA
Cœur du satellite © ESA

Dans la coiffe de la fusée, il ne pèse effectivement pas très lourd. Un kilo à peine. Ce « CubeSat », soit un satellite cubique de 10 centimètres de côté, voyage aux côtés de deux autres satellites universitaires: e-st-@r-II de l’Ecole polytechnique de Turin (Italie) et AAUSAT-4, de l’Université d’Aalborg, au Danemark.

Trois « nains » technologiques accrochés à deux grands frères

Ces CubeSats accompagnent deux passagers nettement plus costauds pour ce lancement spatial (la mission « VS14 ») orchestré par Arianespace.

Le satellite scientifique français Microscope, qui doit tester le « principe d’équivalence » décrit par la théorie d’Einstein, affiche une masse au décollage de 303 kilos. Toutefois, le satellite le plus important de cette mission (dans tous les sens du terme) est l’engin européen d’observation de la Terre par radar « Sentinel 1B ». Un bel oiseau qui fait 2.164 kilos.

Un projet éducatif de l’ESA: “Fly your Satellite”

OUFTI, le CubeSat liégeois, va être placé sur une orbite quasi polaire elliptique, oscillant entre 454 et 682 kilomètres d’altitude. Il devrait y fonctionner pendant deux ans environ.

Photo © ESA
Montage du CubeSat © ESA

“Il a été développé par les étudiants liégeois dans le cadre du programme éducatif de l’Agence spatiale européenne « Fly Your Satellite», explique le Pr Jacques Verly, du département d’électricité, électronique et informatique de l’ULg.

OUFTI et l'équipe liégeoise en salle blanche © ESA
OUFTI et l’équipe liégeoise en salle blanche © ESA

Fly Your Satellite” est un programme du bureau de l’Education de l’ESA qui propose aux étudiants d’universités européennes de concevoir, de développer et éventuellement de lancer dans l’espace un CubeSat. Les visées sont éducatives, technologiques et complémentaires à ce qu’une université peut proposer comme «travaux pratiques» à ses futurs ingénieurs et autres scientifiques dans le cadre de leurs études.

C’est aussi, pour l’Agence spatiale européenne, un moyen d’aider les universités à mieux préparer leurs étudiants à une éventuelle carrière dans le secteur spatial.

45 thèses de master à Liège en huit ans

Notons au passage que les étudiants de l’ULg ne sont pas les seuls impliqués dans ce projet. Des professeurs et des étudiants de deux hautes écoles liégeoises (Institut supérieur industriel de Liège et HELMO-Gramme) ont également été impliqués.

« Acronyme de « Orbital Utility For Telecommunication Innovation », OUFTI est en développement à Liège depuis huit ans”, précise le Pr Gaetan Kerschen (ULg), venu à Kourou assister au lancement.

Le projet OUFTI a vu défiler plusieurs dizaines d’étudiants et a donné lieu à la réalisation de pas moins de 45 travaux de fin d’études (thèses de Master) à l’ULg. Les différents composants du nano-satellite ont été conçus puis assemblés par les étudiants avant d’être soumis à des tests sévères, au Centre spatial de Liège (CSL) de l’ULg et au Centre de Recherche et de Technologie spatiales (ESTEC) de l’Agence spatiale européenne (ESA).

Deux missions technologiques

C’est qu’outre sa fonction pédagogique, OUFTI 1 doit également remplir deux missions technologiques.

« Il servira tout d’abord de relais spatial pour les radioamateurs. Il fait pour cela appel à la technologie numérique D-STAR, grâce à laquelle la voix et des données numériques peuvent être envoyées simultanément », précise le Pr Kerschen. « La seconde mission qui lui est dévolue est de tester en conditions réelles des cellules photovoltaïques présentant un rendement plus élevé ».

« Il ne faut pas minimiser le rôle des radioamateurs », indique de son côté le Pr Jacques Verly (ULg), qui lui aussi est sous les tropiques pour le lancement des CubeSats du programme « Fly Your Satellite » de l’ESA.
« Ils peuvent s’avérer très utiles, notamment en cas de catastrophes. Leur réseau est alors parfois le seul à encore pouvoir fonctionner correctement quand les autres sont hors d’usage ».

Accumulation de « premières » pour le petit CubeSat

On pense bien entendu à des catastrophes naturelles telles des séismes, qui détruisent les installations au sol. Mais aussi en cas d’actes terroristes, comme ceux que la Belgique et la France viennent de subir.

« Après les attentats de Bruxelles, il y a un mois, les réseaux de téléphonie mobile ont été saturés pendant des heures », rappelle le Pr Verly.

Le satellite liégeois cumule les premières. Il est tout d’abord… le premier satellite liégeois. Il est aussi le premier satellite belge à avoir entièrement été conçu, construit et opéré depuis la Belgique. C’est également au Sart-Tilman, que l’antenne chargée de communiquer avec OUFTI pendant toute sa vie opérationnelle a été installée.

Enfin, il est aussi le premier à emmener en orbite un relais de télécommunication numérique de type D-STAR. Un type de relais plutôt utilisé sur Terre pour les communications par GSM.

Après OUFTI, un satellite Tchantchès?

Voilà clairement de quoi donner le sourire au Pr Albert Corhay, recteur de l’Université de Liège. Un recteur qui a également fait le voyage en Guyane pour assister au lancement de ce concentré de technologies.

Il est bien entendu fier de cette réalisation, qui a aussi nécessité de mettre la main au portefeuille. Le programme « Fly your Satellite », du bureau de l’Education de l’ESA, a pris en charge une partie des frais liés à ce projet et a assuré un suivi professionnel du satellite tout au long de son développement. L’université a déboursé quelques dizaines de milliers d’euros.

« Mais si on globalise les coûts, le matériel, le temps de travail des enseignants de l’Université, on arrive à une somme de plusieurs centaines de milliers d’euros », précise le recteur. Un investissement largement soutenu par la Politique Scientifique fédérale (BELSPO).

Le satellite est en réalité dénommé OUFTI-1. Cette numérotation signifie-t-elle qu’il ouvre la voie à d’autres projets du même genre à l’ULg dans le futur? Le Pr Corhay sourit. « Pourquoi pas? ”, dit-il. “A moins que nous ne baptisions le prochain CubeSat liégeois Tchantchès?” A ce jour cependant, aucun projet précis n’a encore été mis sur la table.

Surveillance maritime et stabilisation magnétique
Dans la coiffe du Soyouz, OUFTI est accompagné de deux autres CubeSats. Eux aussi répondent à des objectifs pédagogiques et se doublent d’une mission de démonstration technologique.

Le CubeSat italien « e-st@r-II »  veut démontrer qu’il est possible de stabiliser un satellite grâce à un dispositif interne utilisant le champ magnétique de la Terre. L’engin danois « AAUSAT-4 », veut tester un nouveau système d’identification automatique des navires croisant dans certaines mers du monde.

A Kourou, le compte à rebours est lancé. Le lancement est prévu ce 22 avril à 18h02, heure locale, soit 23h02 en Belgique. Dès le lancement effectué, Daily Science diffusera un nouvel article sous forme de blog. Il détaillera au fil de la mission Soyouz le déroulement des opérations et apportera davantage de précisions sur les deux « gros » passagers de la fusée et les enjeux qui y sont liés.

Note: Le 22 avril à 19 heures, pour des raisons de vents défavorables en altitude, le lancement a été reporté de 24 heures. Il a encore été reporté par la suite, à cause d’un problème technique sur le lanceur.

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