© ULB-Teddy Seguin

Archéologie subaquatique… à 3.800 mètres d’altitude

18 août 2017
par Adrien Dewez
Durée de lecture : 7 min

Depuis 2007, les Belges sont extrêmement actifs dans l’archéologie bolivienne. Année après année, au lac Titicaca, Christophe Delaere (ULB-FNRS) plonge et découvre des milliers d’objets de la culture Tiwanaku: une culture andine encore méconnue, qui démarre au 5e siècle pour disparaître au 11e siècle. Le secret des succès engrangés par Christophe Delaere à 3800 mètres d’altitude, dans les Andes? Une méthode de travail originale qui analyse les fluctuations du lac à travers les siècles pour retrouver d’anciens sites d’occupation aujourd’hui immergés.
 

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Et sa méthode fonctionne, en témoigne la campagne de fouilles de 2013 qui a révélé de magnifiques objets cérémoniels comme des urnes, des bijoux ou encore de la céramique repêchés au large de l’île du Soleil. L’importance de ces découvertes a poussé le président bolivien, Evo Morales, à organiser une conférence de presse tandis que le Belge mettait au jour, l’année suivante, le premier port préhispanique connu.
 
Cela a vraisemblablement décidé le gouvernement fédéral belge, via la Coopération Technique Belge, d’octroyer un budget de fouilles au chercheur pour une durée de trois ans. Alors que sa deuxième année de fouilles touche à sa fin, Christophe Delaere fait le point sur ses découvertes. Et le potentiel que recèle l’archéologie subaquatique, une discipline méconnue en Belgique.
 
Fouilles dans le lac mineur

 

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« Cette année nous avons concentré nos recherches sur le lac mineur du Titicaca. Lorsque nous avons commencé nos campagnes en Bolivie, en 2012, nous nous étions cassé les dents sur cette partie du lac ».
 
Le lac, divisé en deux zones par le détroit de Tikina, mineur et majeur, n’offre pas partout les mêmes contraintes de fouilles.
 
« Si je creuse le sol lagunaire à la recherche d’objets Tiwanaku, vieux de mille ans, je dois retirer environ un mètre de sédiment dans le lac majeur. Dans le lac mineur, la couche de sédiment monte à trois mètres », explique le chercheur de l’ULB.

 

Drone, sondeur multifaisceaux et cartes historiques
 
Il a donc fallu une méthode de recherche adaptée.
 
« Je suis parti avec une équipe réduite durant le mois de février afin de prospecter des sites de fouilles potentiels. Nous disposions d’un drone pour scruter les irrégularités sous la surface, un sondeur multifaisceaux pour cartographier le sol immergé et mes cartes ‘historiques’ de fluctuations du lac».
 

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Sur une vingtaine de sites potentiels préalablement sélectionnés, l’archéologue en a gardé trois pour y lancer toute son équipe.
 
« On fouille en mai et en juin, ce qui correspond à l’hiver, ou la période sèche, dans les Andes. La pluie contraint fortement la visibilité des plongeurs et complique le travail ».
 
Une équipe riche de trente personnes
 
Jamais l’équipe de fouilles n’a été si nombreuse. « Nous étions trente ! » s’exclame l’archéologue. Entre les plongeurs européens, les étudiants en archéologie de Bolivie, l’équipe de conservation, de logistique, il a fallu gérer une équipe hébergée dans des villages dépourvus de loisirs technologiques .
Une gestion qui a porté ses fruits.
 
« Le lac mineur est beaucoup plus plat que le lac majeur. Comme le niveau de l’eau était plus bas à l’époque Tiwanaku, j’espérais retrouver des plaines agricoles et des sites d’occupation domestiques plutôt que des objets cérémoniels semblables à ceux découverts les années précédentes ».
 
Un premier site prometteur
 
Sur le premier site, K’anaskia (Tiraska), l’équipe a retrouvé une centaine d’objets, dont de la céramique et des fragments d’ossements. Des résultats peu concluants ?
 
« Une centaine d’objets ce n’est pas assez. Mais je suis convaincu que nous sommes, en réalité, en bordure d’un site. Le courant et le ressac ont vraisemblablement déplacé des objets. Nous sommes à la frontière d’un site archéologique plus important ».
 
« Quand on fait un sondage de deux mètres sur deux mètres, on enlève 4 mètres carrés de sédiments. Avec parfois des couches très dures, comme de l’argile compacte, qu’il faut percer avant d’espérer retrouver la couche archéologique », analyse l’archéologue.
 
Un travail à effectuer sous l’eau et à quasi 4 kilomètres d’altitude où le nombre d’atomes d’oxygène et d’azote dans l’air est moins important et où chaque effort est plus coûteux.
 
« On y a mis beaucoup d’énergie, c’est un peu frustrant mais il y a des perspectives, pour nous ou pour des équipes boliviennes dans les prochaines années ».
 
Bonnes surprises à Sanka Putu
 
Le second site, Sanka Putu (Orrelaya), a réservé quelques belles surprises aux chercheurs.
 
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« J’avais une intuition en ce qui concerne ce site. Elle s’est confirmée au-delà de ce que j’imaginais. La morphologie du site était particulière et nous avons dû adapter notre méthode de travail par des sondages et des sillons plus grands et parfois plus profonds dans les sédiments ».
Au total, quatorze sondages de deux mètres sur deux ont été effectués. Un travail qui a fini par payer.
 
« Nous avons remonté pas moins de 10.000 artefacts archéologiques », précise Christophe Delaere. « En 2016, nous avions remonté 4.000 fragments d’objets et c’était déjà exceptionnel ! »
 

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« D’habitude nous retrouvons des sites qui ont fortement été modifiés par le temps. En mille ans, le courant du lac déplace et érode les objets. Orelaya nous a offert un contexte primaire, chose extrêmement rare en archéologie subaquatique. Il s’agit d’un site dont la morphologie est quasi identique à celle qu’utilisaient ses derniers occupants. Nous avons retrouvé des squelettes de lamas côte à côte. Pour les 950 fragments de céramique, je pourrais quasiment recoller les morceaux comme un puzzle ».
Au niveau qualitatif, les découvertes sont multiples.
 
« Nous avons a priori le contexte le plus ancien que j’ai eu l’occasion de voir. Je ne peux pas encore m’avancer sur les dates précises mais il ne faut pas oublier que le peuplement du lac est assez tardif. Nous avons retrouvé des objets de l’époque formative ce qui n’est pas très loin de l’apparition de la céramique dans cette région ».
 
Découverte d’une forge !
 
« Ensuite, nous avons mis au jour des cuisines de cette même époque, avec des ossements de lama griffés ou bouillis, des feux, des marmites en céramiques, etc. Puis ce fut la surprise: nous sommes tombés sur une forge, un site de création d’objets en métal ».
 

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Néanmoins, beaucoup de questions restent en suspens.
 
« Nous n’avons pas retrouvé de murs de maison », indique encore le scientifique. “Nous ne pouvons donc pas parler de la découverte d’un village. Mais ce qui est clair, c’est qu’il s’agissait bien là d’un site d’occupation permanent. Un site qui suscite aussi certaines questions. D’où venaient les métaux ? Du lac ? De plus loin ? Cela reste à découvrir ».
 
Année après année, le Titicaca livre son histoire aux archéologues belges et à leurs collègues.
 
« Petit à petit, nous découvrons des objets de la vie quotidienne, la trace de routes commerciales et fluviales, des techniques de forge et d’alimentation. Nous disposions déjà d’objets cérémoniels. Cette année, nous identifions un des lieux qui pourraient potentiellement les produire”.
 
Grâce au travail des archéologues plongeurs, la culture Tiwanaku, une culture qui, à l’instar des Incas, n’a laissé aucun texte, distille peu à peu ses secrets. Les prochaines campagnes de terrain s’annoncent subjugantes.

 

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