Kikk Talks, Kikk Market, Kikk Electronic, Little Kikk… En un mot (ou plutôt deux), Namur vit au rythme du « Kikk Festival ». Le Kikk? « C’est le festival des cultures numériques et créatives en Belgique et ailleurs», explique Marie du Chastel, curatrice et coordinatrice de l’événement. « Ici, nous mélangeons les genres pour favoriser la créativité, l’innovation, la recherche. »
Ouvert à tous, largement gratuit, le festival se termine samedi soir. Son programme est dense et riche. Un exemple? L’intervention, en conférence « French », du Dr Yan Breuleux, de l’Université du Québec à Chicoutimi (Uqac). L’artiste-chercheur est spécialiste de la narration, la « narrativité » comme il aime à la qualifier, dans le cadre des expériences immersives. Et le problème à résoudre est loin d’être simple.
Passer du concept d’image à celui d’environnement
Comment, en effet, raconter une histoire immersive? Comment faire vivre une expérience immersive à un spectateur tout en tenant compte des spécificités du médium numérique et du langage de l’immersion?
« Le constat de départ est simple », explique Yan Breuleux. « Dans le monde de l’immersion, on passe du concept d’image à celui d’environnement. Quand on crée une narration pour un univers classique, on construit une narration par l’image. Dans un univers immersif, cette technique n’a plus de sens. Parce qu’on sort nécessairement de ce cadre. On déplace le champ de la narration ».
« Comme il s’agit désormais d’un environnement, il n’y a plus de point de vue unique ou dirigé possible. Il n’y a plus l’oeil de la caméra. C’est le spectateur qui détermine son point de vue. Il devient la caméra. Les mouvements de sa tête déterminent le point de vue ».
Le paradoxe de l’immersion
« Comment concevoir un récit dans cette dimension sans cadre? Dans un récit classique, on guide le spectateur vers un endroit précis à un moment donné. Ici, nous sommes face à un paradoxe, car nous disposons avec l’immersif d’un environnement qui repose sur une infinité de perceptions individuelles. D’autre part, nous gardons toujours la volonté de transmettre une histoire… Nous sommes donc pris entre deux espaces de narrativité distincts. C’est le paradoxe de l’immersion ».
Yan Breuleux pointe aussi une autre particularité de ces dimensions immersives: celui de la multiplication des situations.
« Avec l’immersif, nous nous trouvons dans un environnement où on vit une situation. Si on construit une expérience de ce genre, il faut laisser le soin au spectateur d’interpréter lui-même ce qu’il vit. Mais avec suffisamment d’ouvertures dans la structure du récit pour qu’il puisse choisir un chemin ou un autre ».
Bac à sable ou dirigisme exacerbé: deux risques à mesurer
« Le danger est de lui proposer trop d’ouvertures, comme c’est le cas par exemple avec les jeux vidéo. Dans ce type de situation, on se retrouve dans un environnement qu’on pourrait qualifier de « bac à sable », il n’y a plus de récit. Par contre, si le récit est trop dirigé, on se retrouve avec une transposition mal réussie d’un film… »
Les recherches de Yan Breuleux, nourries par ces différentes observations, visent à expliciter l’utilisation des technologies immersives.
« Je parle volontiers de la relativité par environnement. Mais de quel environnement s’agit-il? Pour le définir, j’ai développé une typologie des environnements qui permet également de comprendre les liens existant entre l’ensemble des technologies immersives », reprend-il.
Typologies environnementales
On parle d’environnement projeté, virtuel, de réalité alternative, d’environnements enregistrés. Ces derniers permettent de comprendre les liens qui se tissent entre l’internet des objets et la réalité virtuelle. Ils concernent aussi les données du territoire qui ont été enregistrées, soit sous forme de géopositionnements, soit sous forme de données lidar, des données volumétriques de notre environnement.
« L’ensemble de ces typologies des environnements me permet de développer mes propres projets, mais aussi d’orienter les travaux de mes étudiants », explique Yan Breuleux, qui enseigne à la section montréalaise de l’Université du Québec à Chicoutimi. C’est là qu’il développe son laboratoire de recherche, au sein de l’École des Arts numériques, de l’animation et du design
« Ce formalisme, ce cadre typologique permettent d’éviter les confusions, les malentendus. C’est important dans un domaine relativement nouveau, mais qui s’inscrit dans un continuum historique ».
Dans mes recherches je tente notamment de déterminer où se situe la nouveauté dans le domaine de l’immersif. Un domaine qui existe depuis les années 1960, quand on commençait à parler des premiers prototypes de réalité virtuelle, qu’on qualifiait alors de « cinéma du futur ». Et avant cela, même les frères Lumière et leur « photorama » s’y frottaient déjà.
Écoutez Yan Breuleux jeter un regard dans le rétroviseur en ce qui concerne l’immersif