La philosophie des sciences éclaire le débat sur l’intelligence végétale

23 octobre 2020
par Camille Stassart
Durée de lecture : 5 min

Les végétaux, sont-ils doués d’intelligence ? La question suscite de vifs débats dans la communauté scientifique. Selon Quentin Hiernaux, chargé de recherches FNRS en philosophie des sciences à l’ULB, l’idée est en partie contestée, car elle bousculerait nos croyances, nos représentations, mais aussi nos connaissances, sur les végétaux. La problématique serait autant scientifique qu’idéologique.

Dans l’ouvrage « Du comportement végétal à l’intelligence des plantes? », paru aux Éditions Quae, le chercheur propose un éclairage historique et philosophique de ces débats scientifiques, mettant au jour les racines des controverses actuelles.

"Du comportement végétal à l'intelligence des plantes?", par Quentin Hiernaux. Editions Quae. VP 9,5 euros, VN gratuite
« Du comportement végétal à l’intelligence des plantes? », par Quentin Hiernaux. Editions Quae. VP 9,5 euros, VN gratuite

Quand l’éthologie végétale se heurte à la pensée traditionnelle

Durant des siècles, l’auteur nous rappelle que l’Occident pensait qu’il existait une différence fondamentale entre l’Homme, l’animal et le végétal. « Ce n’est finalement qu’au 20e siècle que les premières recherches sur le comportement animal ont permis de combler le fossé entre l’humain et l’animal. Mais la différence présupposée entre ces derniers et les plantes, elle, a rarement été interrogée par les philosophes et les botanistes. »

« Il y a donc toujours eu une distinction absolue, un règne animal et un règne végétal. Du moins, jusqu’à présent. Les résultats des études phylogénétiques, mais aussi, depuis quelques années, sur le comportement végétal, font vaciller cette frontière en grande partie idéologique », remarque le docteur Hiernaux.

Ces cinquante dernières années, de nombreuses expériences ont, en effet, soutenu l’idée que non seulement les plantes sont sensibles, mais qu’elles accèdent à certaines facultés de la vie psychique.

Des capacités cognitives attestées

Des chercheurs ont établi que les végétaux sont capables de se communiquer des informations précises au moyen de signaux électriques, chimiques (volatils et souterrains). Même si ces échanges ne sont pas verbaux, et que rien ne permet d’affirmer qu’ils soient intentionnels.

Il a également été découvert que les plantes sont en mesure de mémoriser des informations, de s’en rappeler et donc d’apprendre par essai-erreur, en explorant leur environnement.

Plus étonnant encore, ces organismes pourraient posséder une forme de conscience. « Des expériences ont démontré que de nombreuses espèces de plantes ne réagissent pas de la même façon si l’une de leurs racines entre en contact avec une autre de leurs racines ou avec une racine d’une espèce étrangère. Dans le second cas, la croissance est inhibée et la racine s’éloigne de sa voisine en laissant une zone de sol vierge entre elle et sa concurrente. Dans le cas où il y a rencontre avec sa propre racine, il n’y a pas d’inhibition. Ces expériences indiquent donc une forme de conscience corporelle, voire une conscience sociale simple vis-à-vis de plantes apparentées », résume le chercheur.

Nos cadres de pensée seraient en train d’évoluer

Ces résultats nous amènent à repenser notre vision et notre relation aux végétaux. Et pour Quentin Hiernaux, c’est là que réside le cœur du débat sur l’intelligence végétale : « Concéder aux plantes une certaine forme d’intelligence implique de changer la façon dont on les considère. Or, dans notre tradition de pensée, les végétaux ont toujours occupé le dernier échelon du vivant. Aussi, c’est toute l’échelle des êtres qui devrait être réagencée, dans une perspective beaucoup moins verticale. Et notre société est peu encline à accepter cela.»

Dans les pratiques, néanmoins, des initiatives intègrent peu à peu cette idée. « De plus en plus de personnes font aujourd’hui preuve de considération envers la nature. Elles ont conscience que les végétaux ont leur rôle et leur importance dans le tissu écologique, et qu’il est mal de les détruire sans raison ou de façon disproportionnée. Il nous semblera par exemple répréhensible et irrespectueux d’abattre des chênes dans un parc, sans justification légitime, ou encore de bétonner une zone de grande biodiversité végétale pour y établir un parking », précise le philosophe des sciences.

Les plantes ne sont pas des humains

Ces découvertes sur le comportement végétal viennent soutenir l’intuition d’un plus grand respect envers le monde végétal. Il convient malgré tout de ne pas céder à l’anthropomorphisme. « Des aptitudes comportementales analogues ne rendent pas pour autant le comportement des plantes identique à celui des animaux », assure Quentin Hiernaux.

« Ainsi, une plante, un dauphin, un enfant et un adulte apprennent tous de leurs erreurs. Mais ce n’est pas parce que l’usage du concept d’apprentissage est légitime dans tous ces cas que ces organismes apprennent strictement la même chose ou de la même manière. »

La même nuance s’impose concernant la notion d’intelligence végétale. « Quand on parle d’intelligence, on a tendance à se référer à l’intelligence humaine. Or, il apparaît certain qu’une plante fera zéro à un test de QI. La question à poser n’est donc pas “les plantes sont-elles intelligentes (comme les humains) ?” Mais plutôt “De quels types d’intelligence les plantes sont-elles capables ?”. Il s’avère que les plantes possèdent plusieurs formes d’intelligence, comme l’indique leur capacité à communiquer, mémoriser, apprendre, etc. »

Reconnaître cela peut nous apprendre à « mieux comprendre et ressentir la diversité de ce qui lie les vivants entre eux », conclut le chercheur.

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