La préhension s’anticipe du bout des doigts

1 mars 2024
par Marine Giacometti (stagiaire)
Temps de lecture : 3 minutes

Saisir une tasse et ne pas la laisser tomber… Derrière ce geste simple, se cache une complexité insoupçonnée. C’est tout un système de muscles et de nerfs qui nous permet de maintenir un objet. Bien qu’étudié depuis les années 80’, ce processus complexe n’a pas encore révélé tous ses secrets. Pour le Pr Philippe Lefèvre et son équipe de l’UCLouvain, tout dépendrait d’un signal d’avertissement concernant une perte d’adhérence imminente. Une découverte qui pourrait révolutionner le monde de la prothèse de la main.

Un signal d’alerte

Dans les années 80′, une étude pionnière a démontré que la force de préhension s’adaptait aux propriétés de frottement ou de friction d’un objet. Une surface glissante (friction faible) implique un geste plus ferme que celui appliqué à une surface collante (friction forte). Cette adaptabilité selon la friction se fait en un temps record de 100 millisecondes. Et est complètement annihilée en cas d’anesthésie. Cette adaptabilité quasi immédiate implique un signal sensoriel relié à la friction.

Des chercheurs de l’Institut de neuroscience (IoNS) et de l’Institut des technologies de l’information et de la communication, électronique et mathématiques appliquées (ICTEAM) ont démontré que le signal sensoriel qui déclenche l’adaptation à la friction n’est pas la friction en soi, mais un signal d’avertissement concernant une perte d’adhérence imminente.

Quand nous manipulons un objet fragile, glissant ou lourd, nous adaptons notre force pour qu’elle soit optimale. Nous ne voulons pas utiliser une force trop élevée pour ne pas briser l’objet. Ou dans le cas inverse, une force trop faible pour ne pas le laisser glisser. C’est le cerveau qui envoie des signaux électriques aux muscles, déclenchant une contraction musculaire. « Cette capacité s’acquiert et se développe au fil de la croissance, de l’apprentissage, avec des ajustements continus en réponse aux exigences changeantes de l’environnement », précise le Dr Benoit Delhaye, chercheur à l’IoNS et à l’ICTEAM. Il s’est concentré sur les mécanismes d’ajustement de cette force.

Les coulisses d’un processus d’adaptation instantanée

« Nous avons constaté que lorsqu’une personne manipule un objet, l’aire de contact, c’est-à-dire l’interface de contact entre le doigt et l’objet, est le lieu de glissements partiels. Imaginez une personne qui tient délicatement un verre entre ses doigts. Soudain, un léger glissement se fait sentir, menaçant la stabilité. C’est à cet instant que le cerveau réagit. En quelques centaines de millisecondes à peine, une réponse immédiate se déclenche. Les doigts resserrent leur emprise, ajustant instinctivement la force de préhension pour empêcher que le verre ne s’échappe. C’est comme si chaque glissement partiel était un signal précieux, déclenchant une adaptation instantanée de la force de préhension », détaille le Dr Delhaye.

« Nous avons développé un processus expérimental qui permet d’imager le contact entre le doigt et l’objet afin de caractériser ces glissements partiels. Les personnes devaient soulever un objet avec le pouce et l’index. Durant l’expérience, la friction était modifiée, de sorte que la personne était amenée à adapter la force appliquée. »

L’étude explore comment les individus ajustent leur force de préhension en réponse aux changements de friction lors de la manipulation d’objets. Elle a révélé l’existence d’une adaptation rapide de la force de préhension, même en l’absence de différences perceptibles dans les textures. Cette adaptation a été associée à des schémas locaux de déformation cutanée. Il s’agit de la déformation physique ou structurelle qui se produit dans la peau en réponse à une pression, une traction ou une torsion.

« Comprendre la mécanique fine du processus de préhension permet d’appliquer ces connaissances aux neuroprothèses de la main », indique Benoit Delhaye. Les chercheurs envisagent désormais d’équiper les prothèses de capteurs capables de mesurer les déformations cutanées. « Ces informations pourraient être traduites en un signal transmissible au cerveau, offrant ainsi aux patients une expérience sensorielle augmentée », conclut le chercheur.

 

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