Cédric VILLANI a reçu la médaille Fields en 2010

« Comment j’ai détesté les maths » : on adore !

1 avril 2014
par Christian Du Brulle
Durée de lecture : 4 min

« Les maths ? Je suis nulle et c’est pour la vie », lance une adolescente d’entrée de jeu. « Trop difficiles, trop hermétiques, inutiles ». « C’est destiné à sélectionner les étudiants trop nombreux en première année à l’université », diront les plus dégoutés. Bref : les maths, c’est l’horreur intégrale !

Des stéréotypes ? A voir…. Le film « Comment j’ai détesté les maths » qui relaie ces avis est certes français, mais la question qu’il pose concerne aussi la Belgique. Pourquoi les mathématiques sont-elles à ce point détestées par la majeure partie de la population alors qu’elles interviennent quotidiennement dans quasi toutes les sphères de notre vie ?

Le réalisateur Olivier Peyon ne livre pas de réponses précises dans son long (1h43!) documentaire. Mais il explore diverses facettes de cette problématique. Et au final, « Comment j’ai détesté les maths » ne laisse personne indifférent.

 

Une omniprésence portée par la révolution informatique

Parce que c’est clair, les maths, qu’on le veuille ou non, sont partout. Pire (ou mieux?) encore : nous sommes à leur merci, à chaque seconde de notre existence.

« Depuis 40 ans, toutes les sociétés modernes en sont devenues ultra-dépendantes. Les algorithmes se retrouvent au niveau de nos GSM, nos GPS, d’internet, des transactions bancaires, des dossiers médicaux centralisés, de la gestion du trafic (aérien, ferroviaire, automobile, fluvial, etc.). Il n’y a plus une facette de la vie humaine qui y échappe », martèlent les mathématiciens interrogés dans le film. Pourquoi cette accélération ? « Parce que dans les années 1970, on a assisté à l’explosion de l’informatique et à l’invention des mathématiques financières ».

 

Le secret de la « beauté »

Olivier Peyon balade ses caméras et ses micros aux quatre coins de la planète : d’Oberwolfach en Allemagne, au Congrès international des mathématiciens d’Hyderabad en Inde, en passant par Berkeley.

Il suit le mathématicien français Cédric Villani (dont la photo illustre la tête de cet article) dans ces différents lieux où « on fait des maths ». Avec Villani, qui a reçu en 2010 la médaille Fields (le « Prix Nobel » des mathématiciens), le réalisateur tente de nous initier à ce concept mystérieux qu’est la « beauté » de cette science.

« La beauté des maths, c’est une démarche », expliquait au « Plaza », de Mons, le Pr Gilles Godefroy, célèbre mathématicien parisien (Jussieu) qui entretient d’étroites relations avec l’UMons. « La beauté en mathématiques est une question d’élégance dans le raisonnement. Elle ne s’applique pas à une démonstration facile et simple à énoncer mais bien un raisonnement à la logique complexe qui débouche sur une explication satisfaisante ».Film Peyon math  1

« Mais surtout, c’est aussi une démarche parfaitement libre. Quand on fait des maths, on baigne dans une liberté totale de pensée. C’est exceptionnel ».

 

Elles ont été déconnectées du sensible

Cet avis parmi d’autres a émaillé le débat qui succédait à la projection en avant-première du film de Peyon en mars dernier, au cinéma Plaza, de Mons. Le débat organisé par SciTech² de l’Université de Mons a porté sur l’enseignement des mathématiques dans les écoles secondaires, sur l’art d’éveiller dès le plus jeune âge une certaine curiosité mathématique, ou encore, sur cette fameuse « beauté » des mathématiques et leur universalité.

Soit. Mais alors pourquoi cette aversion quasi généralisée sous nos latitudes pour les maths ? « Peut-être parce qu’on a déconnecté les maths du sensible » estime Olivier Peyon. « Elles ne racontent plus une histoire. Dans l’enseignement, elles n’incarnent plus assez la réalité. C’est une matière très abstraite. Pour pouvoir l’apprécier, il faut pouvoir l’expérimenter, passer par des expériences physiques. Il faut pouvoir “toucher” les maths, compter sur ses doigts, les assimiler. Ce n’est qu’après qu’on peut passer du physique à l’intellectuel, conceptualiser et enfin appréhender leur beauté », estime-t-il.

 

Quand les maths deviennent « toxiques » 

Une autre facette de l’omniprésence parfois « toxique » des maths dans notre vie est illustrée par la seconde partie du documentaire français. Peyon plonge son public dans ce qu’il appelle « l’horreur des maths ». Celle des algorithmes dévoyés par le monde de la finance et leur rôle joué dans les crises financières.

« Il ne faut pas perdre de vue que ces algorithmes sont des constructions mathématiques », explique encore le réalisateur. « Et on a un peu trop tendance à les considérer comme des objets figés, définitifs parce qu’ils sont efficaces dans un premier temps et dans une certaine mesure. Tant qu’ils permettent certains profits, on les adule. »

film Peyon math 3

« Or, ces constructions mathématiques sont surtout des objets scientifiques. Et comme toutes les sciences, elles sont appelées à être remises perpétuellement en cause, à évoluer ou dans certains cas, à être abandonnées. Les financiers ont peut-être perdu un peu trop vite de vue cette dimension scientifique des algorithmes ».

La projection au Plaza a fait salle comble. Un signe, sans doute, que cette problématique ne laisse finalement pas tout le monde indifférent!

 

(Toutes les photos qui illustrent cet article sont des captures d’écran tirées du documentaire d’Olivier Peyon)

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