« Ce n’est pas parce que l’on découvre un gène ou que l’on guérit une souris, qu’on peut espérer un quelconque bénéfice immédiat pour les malades », souligne l’oncologue Françoise Meunier, Maître de recherches honoraire du Fonds de la recherche scientifique (F.R.S.- FNRS) et directrice de l’EORTC (l’European organisation for research and treatment of cancer). « Le passage du laboratoire ou de l’animal à l’expérimentation humaine, c’est-à-dire à la recherche clinique, est inévitable ».
Dans le domaine des cancers, la recherche clinique vise à établir de nouvelles stratégies de traitement. À évaluer des molécules innovantes, plus actives ou moins toxiques. Ce sont les premiers essais cliniques qui ont permis de soigner et de guérir les malades atteints de leucémie et de lymphome. Pourtant, des patients restent réticents à collaborer aux études.
« Participer à une étude peut paraître effrayant », reconnaît la responsable de la coordination des activités scientifiques et des stratégies de l’EORTC. « Mais se soigner avec des plantes non contrôlées ou des extraits non standardisés a déjà conduit à de graves toxicités et à des décès. Rappelons les méfaits de certaines plantes chinoises responsables du cancer de la vessie et de la mort de nombreuses patientes. Il faut souligner que ce sont les malades séropositifs qui ont fait changer les mentalités en comprenant l’importance de participer à des expérimentations cliniques ».
Du temps pour dialoguer
La recherche clinique est particulièrement complexe en cancérologie. Contrairement à d’autres pathologies, elle nécessite beaucoup d’intervenants: des spécialistes en radiothérapie, chimiothérapie, chirurgie, immunologie, génétique… L’oncologue doit avoir du temps pour expliquer au malade les raisons de participer à une expérimentation. Les objectifs, le déroulement de l’étude, les effets indésirables éventuels, le suivi après la recherche…
” Dans tous les cas, il est important de peser les risques inévitables liés à l’état de santé du malade par rapport aux risques et bénéfices potentiels d’un nouveau traitement expérimental », insiste l’EORTC dans sa brochure distribuée aux patients. « Au cours de l’étude clinique, le malade sera amené à mentionner au médecin tous les effets secondaires ressentis, de manière à ce que ce dernier puisse l’aider ».
À l’échelle de l’Europe
Les études sont réalisées à l’échelle internationale pour recruter plus de malades et établir un traitement de référence le plus rapidement possible. En 1962, le Groupe européen pour la chimiothérapie anticancéreuse a été créé en Belgique. En 1968, il devient l’EORTC quand des chercheurs anglais se joignent à cette initiative de Belges, Hollandais, Suisses, Allemands et Français. Aujourd’hui, la mission de l’organisation est toujours de promouvoir, de coordonner, d’analyser et de publier des études cliniques effectuées par plus de 2.500 spécialistes européens qui examinent différents types de cancers ou diverses modalités de traitement. Ce réseau inclut plus de 250 hôpitaux universitaires ou affiliés, dont toutes les universités belges.
Plus de 6.000 nouveaux malades, dont 600 Belges, acceptent chaque année d’être traités dans le cadre de protocoles menés par l’EORTC. Actuellement, 160 personnes de 14 nationalités différentes, dont 121 Belges, y travaillent. Ce centre de recherche clinique situé à Bruxelles comprend plusieurs départements qui ont des compétences spécifiques et multidisciplinaires.
« Réjouissons-nous! », s’exclame le Dr Françoise Meunier. « Soyons idéalistes et Européens. Considérons que la recherche clinique n’est ni une fantaisie de médecin ni un luxe. Comme l’a écrit Vésale en 1543 : Soigner, c’est expérimenter ».
La spécialiste explique les raisons du nombre de plus en plus élevé de patients atteints de cancer, les défis de la recherche clinique en Europe dans « Quel avenir pour la cancérologie ? » paru dans la collection « L’Académie en poche ». Éditée par l’Académie royale de Belgique en version papier (5 euros) ou numérique (3,99 euros). « Ce petit volume dense s’adresse à la communauté des cancérologues dans le sens le plus large de ce mot. Ne comprenant pas seulement les soignants, mais aussi tous ceux qui touchent de près ou de loin cette grave maladie », commente le professeur Frühling, secrétaire perpétuel honoraire de l’Académie royale de médecine de Belgique.