En Belgique, 69% des femmes âgées de 14 à 55 ans utilisent un moyen de contraception, selon les dernières données disponibles. Parmi elles, plus d’une sur deux opte pour la pilule, la plus courante étant la pilule dite « combinée » (PC), comprenant un œstrogène et un progestatif. Une association qu’on trouve aussi dans le patch contraceptif et l’anneau vaginal.
Depuis plus de 60 ans, l’éthinylestradiol est l’œstrogène de référence dans ces contraceptifs, en raison de son rapport coût-efficacité avantageux. Mais cette molécule présente un inconvénient majeur : elle augmente l’incidence de thrombose veineuse, soit la formation de caillots sanguins dans les veines. Cela peut entraîner des complications graves (comme l’embolie pulmonaire), voire mortelles.
« Même si elle reste rare, l’ampleur de l’utilisation des PC en fait un réel problème de santé publique : chaque année, on recense environ 23.000 cas de thrombose veineuse ou d’embolie en Europe chez les utilisatrices », signale Jonathan Douxfils, directeur de l’Unité de recherche en pharmacologie clinique de l’UNamur et fondateur de la start-up QUALIblood. Ces dernières années, il s’est intéressé à une alternative disponible sur le marché belge depuis une quinzaine d’années : la PC à base d’œstrogènes naturels, tels que l’estradiol ou, plus récemment, l’estétrol. Ses récents travaux ont démontré que ces nouvelles formulations pourraient réduire le risque thrombotique de manière significative.
Un test pour prédire les thromboses
En 2018, après 7 années passées au Comité pour l’évaluation des risques en matière de pharmacovigilance de l’Agence européenne des médicaments, le Dr Douxfils décide de lancer sa propre société de services pharmaceutiques. QUALIblood compte parmi ses premiers clients l’entreprise wallonne Mithra Pharmaceuticals, qui développait à l’époque une pilule à base d’estétrol.
« Avant sa mise sur le marché, le risque de thromboembolie devait être identifié et documenté. Mithra souhaitait toutefois éviter les longues études observationnelles de population avant d’avoir des données probantes. Dans ce cadre, j’ai été mis au défi de développer un test innovant ». Par une simple prise de sang, ce test permet ainsi d’évaluer la survenue de ces événements sur une échelle de 0 à 10 sur de plus petites cohortes de sujets, et donc plus rapidement.
« De cette manière, on a démontré que leur pilule présentait moins de risques que celles utilisant un œstrogène synthétique. On s’est rendu compte que les PC à œstrogènes naturels, de manière générale, étaient plus sûres. Cela nous a interpellés, car l’Agence européenne des médicaments considérait toujours l’éthinylestradiol comme la référence la plus fiable.»
Des risques 3 à 4 moins élevés
Face à ce constat, le Dr Douxfils et ses collègues de l’UNamur ont réalisé, de janvier à mai 2024, une méta-analyse – consistant à regrouper et à analyser les résultats de plusieurs études afin d’en tirer des conclusions plus solides – sur l’estradiol, un autre œstrogène naturel. Ils ont compilé les résultats de 5 études observationnelles, réunissant les données de 560.000 utilisatrices. Verdict ? « L’estradiol montrait aussi une diminution du risque de thrombose veineuse, de l’ordre de 33 %. »
Dans les mois suivants, l’équipe a confronté ces résultats en ciblant les bases de données de pharmacovigilance européenne. « Ces dernières rapportent les effets indésirables constatés par les patients et les professionnels de la santé. En analysant plus de 78.000 rapports d’effets indésirables de contraceptifs oraux, on a déterminé que 55% étaient de type thromboembolique. J’ai ensuite comparé les rapports concernant les PC aux œstrogènes naturels, et ceux sur les PC à l’éthinylestradiol.»
Leurs observations sont sans équivoque : « 7 à 10% d’effets indésirables de type thrombotique ont été rapportés avec les PC à base d’œstrogènes naturels, contre 28,5% pour celles à base d’éthinylestradiol et de lévonorgestrel, les PC de référence en termes de sécurité cardiovasculaire selon l’Agence européenne des médicaments. »
Revoir les habitudes de prescriptions
« Il apparaît donc clair que ces contraceptifs oraux à base d’œstrogènes naturels devraient être davantage considérés par les professionnels de santé et les autorités réglementaires », déclare le Dr Douxfils. Pour l’heure, le principal obstacle à leur adoption est leur prix. Mais c’est oublier que la thrombose a aussi un coût sociétal important : « 33% des femmes qui font une thrombose profonde ne retournent pas travailler à temps plein, et ce chiffre s’élève même à 50 % pour celles qui font une embolie pulmonaire », rappelle le scientifique. « En adaptant la première ligne de prescription, on pourrait réduire les risques et donc les coûts. »
Sur ce point, précisons que le test mis au point par QUALIblood peut aussi être réalisé à la demande des femmes souhaitant connaître leur profil de risque, et ainsi choisir une contraception adaptée à leur situation.