Pourquoi nous avons la grosse tête?

1 juin 2018
par Daily Science
Temps de lecture : 4 minutes

Au cours de ces derniers millions d’années, le cerveau humain a vu sa taille et sa complexité augmenter considérablement. Ce qui a eu comme effet de démultiplier les capacités cognitives de l’espèce humaine.

Comment notre cerveau a-t-il pu évoluer de la sorte alors que celui de notre plus proche cousin, le chimpanzé, avec lequel nous partageons 99 % de notre génome, n’a pas suivi la même voie? Les derniers travaux de l’équipe du Pr Pierre Vanderhaeghen (ULB) lèvent un coin du voile sur ce particularisme. Ils pointent certains changements génétiques propres à l’être humain qui pourraient être à l’origine de l’évolution spécifique de notre cerveau.

Gènes ancestraux et gènes patrimoniaux

« L’un des moteurs de l’évolution est l’émergence de nouveaux gènes par un phénomène de duplication : un gène “ancestral” est copié, et la copie évolue pour devenir un gène apparenté, dit « paralogue » », indique l’ULB dans un communiqué. Le professeur Pierre Vanderhaeghen et son équipe ont étudié ces gènes dupliqués qui apparaissaient dans la lignée commune aux humains et aux grands singes.

« En général, les biologistes du développement cherchent à comprendre les différences dans l’évolution des espèces en observant les changements dans la régulation des gènes, et non en observant les gènes eux-mêmes, puisque nous partageons la plus grande partie de nos gènes avec de nombreux autres organismes, y compris parfois très simples, comme les vers de terre », indique dans ce communiqué le Pr Vanderhaeghen, par ailleurs Prix Francqui en 2011 (la plus importante récompense scientifique belge, qui lui avait été attribuée pour ses travaux sur les mécanismes génétiques contrôlant le développement et l’évolution du cortex cérébral).

«  Cependant, la duplication de gènes peut conduire à l’apparition de nouveaux gènes au sein d’une espèce, ce qui pourrait contribuer à l’émergence rapide de traits spécifiques, par exemple un cortex cérébral plus volumineux. »

Le Dr Ikuo Suzuki, chercheur en postdoctorat au sein du laboratoire du professeur Vanderhaeghen, et premier auteur de la recherche publiée cette semaine dans la revue Cell, explique la difficulté de son travail.

« Distinguer entre l’expression des gènes ancestraux (communs à toutes les espèces) et celle des paralogues spécifiques à l’humain (qui n’existent que dans l’ADN humain) n’est pas simple. Ces gènes sont extrêmement similaires. Nous avons cependant pu recenser toute une série de gènes dupliqués qui jouent un rôle dans le développement du cortex cérébral chez l’humain. »

Les chercheurs se sont ensuite concentrés sur une famille précise de gènes : NOTCH2NL, un ensemble de gènes paralogues du récepteur NOTCH2 propres à l’humain. La voie de signalisation Notch est bien connue pour son rôle clé dans le développement des organes, y compris du cerveau.

Production de neurones

En utilisant un modèle du développement du cortex basé sur les cellules souches, les chercheurs ont découvert que les gènes NOTCH2NL favorisaient l’expansion des cellules souches corticales, lesquelles produisent à leur tour plus de neurones.

Le professeur Vanderhaeghen développe : « Au vu du rôle primordial de la voie Notch pendant la neurogenèse, nous avons émis l’hypothèse que les gènes NOTCH2NL pourraient être des régulateurs de la taille du cerveau propres à l’espèce humaine. C’est assez fascinant de voir que des gènes qui sont apparus très récemment au cours de l’évolution humaine interagissent avec ce qui pourrait être la voie de signalisation la plus ancienne du règne animal : la voie Notch. »

Microcéphalie, macrocéphalie, schizophrénie…

« Trois gènes NOTCH2NL spécifiques à l’humain sont situés sur le premier chromosome, dans une région qui a déjà été associée à des maladies affectant la taille du cerveau », précise le Dr Ikuo Suzuki. « Les microdélétions génétiques qui ont lieu dans cette zone donnent lieu à des cas de microcéphalie et de schizophrénie. Par contre, les microduplications donnent lieu à des cas de macrocéphalie et d’autisme. Naturellement, nous nous sommes donc demandé si ces effets pourraient être liés aux gènes NOTCH2NL. »

La réponse a été fournie par un groupe de chercheurs américains mené par David Haussler (de l’Université de Californie à Santa Cruz et du Howard Hughes Medical Institute). Ils ont analysé l’ADN de patients atteints de microcéphalie ou de macrocéphalie et ont découvert que les régions précises affectées par les délétions et duplications correspondaient de très près aux régions où se trouvent deux des gènes NOTCH2NL.

Comme l’indique le professeur Vanderhaeghen : « Prises ensemble, notre étude et celle de nos collègues américains semblent démontrer que certaines duplications de gènes spécifiques à l’humain permettent de réguler la taille et la fonction du cerveau. Quand il existe moins de copies des gènes NOTCH2NL, le cerveau serait plus petit, tandis qu’il serait plus grand lorsque les copies sont plus nombreuses », conclut le chercheur, qui bénéficie pour ses travaux, et jusqu’en juillet 2019, d’une bourse européenne ERC de 2,5 millions d’euros.

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