A 50 km sous la surface de la Terre, cartographie des anomalies de vitesse de propagation des ondes sismiques. En rouge, elles se propagent un peu plus lentement, de maximum quelques pour-cents, et inversement en bleu © Production de l’image par Olivier de Viron de l’Université de La Rochelle), en se basant sur les données de French et Romanowicz

Les ondes sismiques révèlent les tréfonds de la Terre

1 juillet 2020
par Laetitia Theunis
Durée de lecture : 5 min

Série (3/5) : « La Science en images »

La tomographie sismique permet d’esquisser les entrailles de notre planète. Il s’agit d’une méthode géophysique utilisant les enregistrements des tremblements de terre pour cartographier la structure interne de la Terre, ainsi que ses propriétés physiques et minéralogiques. Michel Van Camp, chef du service de séismologie de l’Observatoire Royal de Belgique (ORB) nous sert de guide dans les dédales des cartographies tomographiques.

Le modèle tomographique passé ici sous la loupe est dénommé SEMUCB-WM1 et a été développé par Barbara Romanowicz, sismologue et géophysicienne, professeure au Collège de France et à l’Université de Californie à Berkeley. Il en existe deux douzaines d’autres. Ils sont, tous, la compilation d’informations collectées par des centaines d’équipes de sismologues de par le monde, dont celle de l’ORB.

Celui-ci révèle les anomalies de vitesses de propagation des ondes sismiques au travers du manteau terrestre, à différentes profondeurs. Une anomalie n’a rien d’anormal. Il s’agit simplement d’un écart, positif ou négatif, par rapport au modèle moyen de la Terre décrivant les vitesses moyennes acquises par les ondes dans la croûte ou le manteau, couche par couche.

« Il n’y a rien d’homogène dans la Terre. En tomographie, on recherche des anomalies, des endroits dans la planète où la propagation des ondes sismiques est un peu plus rapide, de maximum quelques pour-cents, (représentées en bleu, ce sont des zones plus froides et plus dures, meilleures conductrices d’ondes) ou un peu plus lente (représentées en rouge, ce sont des zones plus chaudes et plus molles, moins bonnes conductrices d’ondes sismiques) », explique Dr Van Camp.

Dorsales océaniques chaudes et cratons continentaux froids

La carte A (voir photo de UNE) nous emmène à 50 km sous la surface de la Terre. Autrement dit, c’est la couche de surface, celle pour laquelle il est le plus facile d’interpréter les mesures de vitesse d’ondes sismiques par rapport à la réalité géologique.

On y voit des anomalies de vitesse négatives réparties le long des dorsales médio-océaniques, notamment celle du Pacifique. Depuis le Mexique et vers les îles de Pâques, la couleur est rouge très foncé. «Il y a là des remontées de magma chaud, des volcans sous-marins, tout comme le long de la dorsale atlantique », commente Michel Van Camp.

Le rouge s’atténue vers l’Ouest pour devenir bleu au Japon, signe du refroidissement de la plaque lithosphérique océanique. « C’est comme un tapis roulant. La plaque refroidit, devient de plus en plus dure et les ondes sismiques s’y propagent de plus en plus vite (couleur bleue). Le bleu est intense au large du Japon, là où la plaque, conçue au Jurassique, soit la plus vieille encore présente sur Terre, entre en subduction dans le manteau. » Et y est recyclée.

Sous les continents se nichent des « cratons ». « Représentés en bleu, ce sont des morceaux de croûte et de lithosphère (partie plus ou moins rigide qui compose l’extérieur de la Terre, et dont la croûte fait partie) de l’Eurasie, de l’Amérique du Nord, de l’Australie et d’une partie de l’Afrique. Ils sont constitués de zones très anciennes et très stables. Plutôt froides, elles ont survécu à pas mal de cycles tectoniques. Et n’ont jamais été réellement recyclées », poursuit le sismologue.

A 900 km de profondeur, une plaque encore en subduction

La carte E nous emmène à 900 km de profondeur. « Si, globalement, les données sont difficiles à interpréter, on remarque toutefois au large de l’Australie, au-dessus de la Nouvelle-Zélande, au niveau des îles Tonga, un trait bleu vertical, plus foncé. D’autres méthodes nous ont appris qu’il s’agit de la partie de la plaque pacifique qui est en subduction. C’est de la croûte froide qui rentre très très profondément dans la Terre », explique le sismologue.


A 900 km sous la surface de la Terre, cartographie des anomalies de vitesse de propagation des ondes sismiques. En rouge, elles se propagent un peu plus lentement, de maximum quelques pour-cents, et inversement en bleu © Production de l’image par Olivier de Viron de l’Université de La Rochelle), en se basant sur les données de French et Romanowicz

Deux grandes zones très lentes à l’interface manteau-noyau

A 2800 km sous la surface se trouve l’interface entre le noyau liquide et le manteau solide. L’étude des ondes et de leur propagation donne un aperçu de ce qui se passe dans ces tréfonds inaccessibles.

« Sur la carte I, se trouvent les deux grandes zones d’anomalies lentes sous le Pacifique et l’Afrique. Elles atteignent leur minimum de vitesse (très rouge) à 2800 km de profondeur. Leur origine reste mystérieuse, mais est sans doute liée aux mouvements généraux de convection dans le manteau. On suspecte que ces zones soient responsables des volcanismes dits de “point chaud”. C’est-à-dire trouvant sans doute leur source dans les profondeurs du manteau. » Cela est à distinguer du volcanisme de rift ou de subduction, où les sources de magma sont proches de la surface et directement liées aux mouvements tectoniques.


A 2800 km sous la surface de la Terre, cartographie des anomalies de vitesse de propagation des ondes sismiques. En rouge, elles se propagent un peu plus lentement, de maximum quelques pour-cents, et inversement en bleu © Production de l’image par Olivier de Viron de l’Université de La Rochelle), en se basant sur les données de French et Romanowicz

« Si tous les modèles s’accordent sur la présence de ces deux zones, ils se distinguent par leur étendue. Et ce, à cause du manque cruel de données sismiques dans certaines régions du monde mal desservies en sismomètres ou équipées d’appareils vieillissants », conclut Michel Van Camp.

 

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