Série (4/5) : Sciences Nord-Sud
Depuis la nuit des temps, hommes et animaux utilisent des végétaux pour se soigner ou atténuer des symptômes. « Dans ce domaine, il reste beaucoup à découvrir et à exploiter », assure Joëlle Leclercq, spécialiste des plantes médicinales à l’Université catholique de Louvain. Depuis 5 ans, elle se focalise sur la valorisation de préparations à base de plantes utilisées traditionnellement au Bénin. L’ambition de ce projet ? Faire le pont entre médecine conventionnelle et médecine traditionnelle en proposant des médicaments de qualité au départ de plantes médicinales.
Une tisane contre la malaria
En ligne de mire, Artemisia annua et Cymbopogon giganteus. Ces deux plantes au nom si compliqué se révèlent être redoutables dans la lutte contre certaines maladies.
La première, aussi connue sous le nom d’armoise annuelle, est célèbre pour s’attaquer au paludisme. Alors que sa substance active, l’artémisinine, et ses propriétés antipaludiques ont été mises au jour en 1970, Joëlle Leclercq se concentre sur la mise au point d’un traitement antipaludéen utilisant quant à lui le « totum » de la plante. C’est-à-dire la totalité des substances naturelles qu’elle contient.
C’est que l’effet de groupe joue : l’ensemble des composés chimiques façonnant l’Artemisia annua a un effet différent et peut même avoir une action thérapeutique plus efficace que les mêmes molécules prises séparément. « En outre, exploiter le « totum » revient moins cher que d’isoler et d’extraire une molécule en particulier », ajoute la professeure à la Faculté de pharmacie et des sciences biomédicales (UCLouvain).
Ce nouveau médicament contre le paludisme a pris la forme d’une tisane. « Un premier essai pré-clinique démontre son efficacité et nous cherchons maintenant à la commercialiser en pharmacie ».
Une alliée dans la lutte contre l’antibiorésistance ?
La citronnelle de brousse, ou Cymbopogon giganteus, est la deuxième plante au coeur du projet de coopération louvaniste. Elle a été sélectionnée parmi 25 végétaux aux huiles essentielles intéressantes, traditionnellement utilisés au Bénin et au Burkina Faso contre les infections.
« Nous avons testé leurs propriétés anti-infectieuses, en combinaison ou non avec des antibiotiques, sur une série de germes, résistants ou non aux antibiotiques. L’huile essentielle la plus efficace était celle de Cymbopogon giganteus. Dans le cas d’un germe en particulier, elle est même parvenue à inverser la résistance de la bactérie à l’antibiotique couramment utilisé pour l’éliminer ! ».
A l’avenir, cette huile essentielle pourrait être utilisée en spray, dans le cas d’infections buccales, et en pommade pour venir à bout de certaines infections dermatologiques.
L’alliance de deux mondes médicaux
L’innovation derrière ces traitements réside dans leur efficacité : « Nous proposons des médicaments de qualité et contrôlés. Le côté novateur se trouve dans la formulation. Les huiles essentielles utilisées dans la pommade sont, par exemple, des concentrés de composés actifs. Cela permet d’augmenter l’efficacité, alors qu’en médecine traditionnelle, ces huiles sont rarement extraites », précise la responsable du projet.
Présenter ces médicaments sous forme de tisane et de pommade les rapproche des pratiques traditionnelles. Ce n’est pas anodin. En effet, l’idée sous-jacente est d’améliorer des solutions locales existantes, et non d’imposer des traitements conventionnels, à l’allure occidentale, à une population qui n’en a pas l’habitude, voire qui s’en méfie.
L’importance de la formation locale en pharmacognosie
Pour ce faire, l’UCLouvain ne joue pas cavalier seul. Le projet est également porté par plusieurs laboratoires de l’Université béninoise d’Abomey-Calavi, dont celui de pharmacognosie et des huiles essentielles, par des chercheurs en sciences sociales de l’Université de Parakou (Bénin) et des chercheurs en galénique et santé publique de l’Université de Ouagadougou (Burkina Faso).
Ce projet de pharmacognosie ne vise pas seulement à développer des médicaments avec les Béninois, mais aussi à former ces derniers à en fabriquer d’autres par la suite.
Écoutez Joëlle Leclercq expliquer pourquoi cette formation locale est importante :
« Tout l’intérêt de l’aide au développement réside dans l’idée que les scientifiques locaux deviennent indépendants et se développent eux-mêmes, ajoute-t-elle. Cela semble d’ailleurs en bonne voie puisque l’État béninois a l’ambition de fonder un Institut de recherche sur les plantes médicinales. Les scientifiques locaux ont ainsi aujourd’hui le soutien du monde politique. C’est l’un des buts de ce type de projet . »