Le Soleil n’est pas une boule de feu placide. Il peut, de temps à autre, se transformer en furie. On parle de super-éruption. Ce phénomène extrême peut se produire n’importe quand. Après-demain, dans 6 mois, dans un siècle. Les impacts sur Terre de ce tsunami solaire seraient cataclysmiques. Il se distinguerait des perturbations solaires habituelles, non seulement par son intensité, mais par son caractère global à l’échelle de continents, voire de la planète entière, ainsi que par sa durée. De quoi causer une coupure électrique planétaire sans espoir de réparation rapide, laquelle provoquerait le chaos et l’effondrement de notre société technologique.
Une vulnérabilité en pleine expansion
Frédéric Clette est physicien solaire à l’Observatoire Royal de Belgique (ORB). Il vient de publier, aux éditions Favre, « Le Soleil et nous », un livre précieux et très instructif sur l’étoile sans qui la vie sur Terre serait impossible. Mais qui, à cause du développement technologique de notre société, s’est muée en une épée de Damoclès constamment suspendue au-dessus de nos têtes.
Le scientifique est clair : il faut prendre ce risque solaire au sérieux. Il fait partie de la catégorie des cataclysmes majeurs espacés dans le temps. Au même titre que le risque de Big One, nom donné au séisme dévastateur qui ravagera la Californie lors de la rupture de la faille de San Andreas. Ou des éruptions volcaniques majeures comme celle du Krakatoa en 1883 ou celle du Vésuve en 79, anéantissant Pompéi et Herculanum.
Et cette menace est plus importante que jamais, car l’humanité, en misant tout son développement sur l’électricité, est devenue excessivement vulnérable aux colères du Soleil.
Une super-éruption peut surgir n’importe quand
Ces super-éruptions dépassent d’un facteur 10 en intensité les plus fortes éruptions observées finement ces 50 dernières années. La combinaison fortuite d’une grande taille et d’une configuration magnétique particulière d’un seul groupe de taches solaires suffit à leur formation.
Des analyses de traces indirectes terrestres passées et des analyses sur des étoiles de la même catégorie que notre Soleil suggèrent que ces super-éruptions se produisent aléatoirement tous les quelques siècles. Et qu’elles peuvent se produire à n’importe quel moment du cycle solaire.
« Certains cycles produisent beaucoup de taches et d’éruptions, alors que d’autres en produisent 3 à 5 fois moins. Pourtant, les super-éruptions peuvent parfaitement se produire durant les cycles faibles. Ce n’est que durant les minima d’activités entre deux cycles, lorsque les taches solaires sont rares et petites durant un à deux ans, qu’aucune forte éruption n’est possible. »
Le réseau télégraphique impacté au 19e siècle
La dernière super-éruption fut observée le 1er septembre 1859, par le physicien solaire Richard Carrington. Il est alors en train d’analyser les taches solaires dans l’optique de s’en servir comme marqueurs de position lui permettant de déterminer la vitesse de rotation du Soleil. C’est ainsi qu’il remarque d’intenses bandes blanches au cœur d’un grand groupe de taches.
« A peine 17 heures plus tard, une énorme tempête géomagnétique se déclenche à l’échelle planétaire, avec des aurores polaires de grande ampleur. Les aiguilles des magnétographes s’affolent dans les centres de mesure du champ magnétique terrestre. »
« Des perturbations majeures et généralisées impactent durement le réseau de télégraphie, une technologie de communication rapide, nouvelle et en pleine expansion. Ce jour-là, les courants induits dans les lignes de transmission longue distance sont tellement intenses qu’ils rendent impossible toute transmission de signal durant plusieurs heures. Des stations prennent feu suite à des gerbes d’étincelles au niveau des disjoncteurs », explique Frédéric Clette.
Apocalypse technologique
« Cela s’est déroulé il y a 160 ans. Il est clair que l’impact d’un tel événement solaire sur les technologies actuelles serait sans commune mesure. Dans le monde actuel, les conséquences d’une super-éruption solaire sur l’humanité seraient énormes, car démultipliées par notre dépendance de plus en plus généralisée à d’innombrables technologies, qui elles-mêmes dépendent de l’électricité. Il s’agit d’une vulnérabilité totalement nouvelle, entièrement créée par les choix de nos sociétés occidentales technologiques au cours des dernières décennies. »
Dans un rapport de l’Académie des sciences des Etats-Unis, des chercheurs ont évalué les impacts d’une super-éruption, particulièrement ceux dus à la démentielle tempête géomatique qui arriverait dans les 16 à 24h après l’événement solaire.
« L’intensité des courants induits serait telle que les systèmes de protection ne pourraient empêcher des dégâts majeurs au niveau des transformateurs haute tension. Étant véritablement grillés, s’en suivrait une coupure de l’alimentation électrique globale sur un vaste territoire. Pour les remplacer par des transformateurs neufs, cela prendrait plusieurs mois, peut-être des années », précise Frédéric Clette.
Des dégâts permanents et généralisés pourraient conduire à une coupure d’électricité à l’échelle de continents voire planétaire, durant plusieurs mois, de quoi rendre impossible la construction de ces nouveaux transformateurs. Et mettant fin abruptement à tous nos systèmes de communication (Internet, téléphone, télévision) et de localisation (GPS). Mais aussi à la finance internationale, aux services bancaires, annihilant toute l’économie globale.
Par effet domino, on assisterait à l’effondrement du système médical – dépourvu de ses outils sophistiqués de diagnostic et de soins -, de l’approvisionnement en énergies fossiles, mais aussi de la chaîne alimentaire aujourd’hui fortement délocalisée. Selon le rapport de l’Académie des sciences, cette perte d’électricité entraînerait des millions de morts en quelques semaines.
« Il ne s’agirait ni plus ni moins que d’un retour en arrière abrupt et soudain de plusieurs siècles, voire de plusieurs millénaires, les bases mêmes de notre civilisation actuelle ayant été détruites par le tsunami solaire», explique le physicien solaire.
Dans un milliard d’années, la vie sur Terre sera anéantie
Pour conclure, rappelons que comme toute chose, la vie sur Terre et le Soleil auront une fin. La première surviendra bien avant la seconde. En effet, notre planète deviendra invivable bien avant la mort du Soleil.
« Au cours de la vie du Soleil, l’épuisement progressif de son hydrogène central produira un lent mais inexorable accroissement de sa luminosité. De l’ordre de quelques pourcents par milliards d’années », explique-t-il.
« Des modèles révèlent que ce réchauffement progressif de la Terre va provoquer une augmentation de l’évaporation de l’eau (laquelle couvre 72 % de sa surface, NDLR). Or, la vapeur d’eau contribuant à l’effet de serre qui piège la chaleur sur la planète, un emballement va se produire d’ici environ un milliard d’années, conduisant à l’évaporation complète des océans. »
La planète jadis bleue se muera alors en un désert de cailloux exempt de formes de vie. Et restera ainsi jusque survienne la mort du Soleil, 3,5 milliards d’années plus tard.