La docteure en sciences biomédicales Anne Berquin s’est associée au docteur en sciences psychologiques Jacques Grisart pour cerner «Les défis de la douleur chronique» aux éditions Mardaga. Pour aider les soignants et les personnes qui souffrent à mieux comprendre le problème. À trouver des solutions.
«L’ouvrage s’est voulu engagé, ne désirant pas se dissimuler sous les conventions», précisent les deux thérapeutes du Centre multidisciplinaire de la douleur chronique aux Cliniques universitaires Saint-Luc à Bruxelles. «Le recours à notre expérience subjective propre peut éclairer les thèmes abordés. Ce livre se veut un hommage aux personnes souffrant de douleur chronique que nous rencontrons quotidiennement en consultation. Nous montrons tout au long de cet ouvrage la richesse de leurs récits, décrivant le chamboulement de l’existence qu’induit une douleur persistante. Mais aussi leur manière de chercher un nouvel équilibre de vie.»
Contrairement à la France, il n’existe pas en Belgique d’enseignement de la douleur pour les soignants… «La science médicale a longtemps considéré la douleur comme un symptôme à valeur essentiellement diagnostique qui, comme la fièvre, disparaît suite au traitement causal. En conséquence, elle a tardé à s’intéresser à la douleur-maladie. Alors que les trente dernières années ont connu un essor important des connaissances scientifiques fondamentales et cliniques dans le domaine de la douleur chronique.»
Croire à la douleur du patient
Prendre le temps d’écouter le patient raconter l’histoire de sa douleur. Marier ses paroles et les connaissances médicales sont des clés pour accompagner la personne qui souffre. Plus le degré de souffrance est grand, plus le relationnel joue dans la dynamique thérapeutique.
Il n’existe pas de personnalité prédisposant à l’apparition d’une douleur chronique. Mais des fonctionnements psychiques pourraient favoriser le développement d’un syndrome douloureux chronique. Notamment la difficulté à décrire ses sentiments et à les communiquer. Des croyances inadaptées, un soutien familial inadéquat peuvent aussi intervenir. Comme des pressions de rentabilité, la crainte de perdre son emploi. Les facteurs génétiques contribuent également à moduler les réponses à la douleur.
L’histoire d’Éric rebondit dans le livre. Au début, le sportif est rongé par la douleur survenue trois ans auparavant après une entorse à la cheville. Son quotidien est bousculé, jalonné par des opérations, la prise de médicaments, des séances de kiné, l’incompréhension de certains soignants. Sa concentration et son sommeil sont perturbés. Éric est révolté en ne voyant pas d’amélioration. Un programme de réadaptation semble lui permettre de modifier ses sensations, tout doucement, avec peine. Éric peut envisager de rejouer son rôle de père, de mari, de sportif. De concevoir un projet professionnel adapté à son état.
Aller mieux avec la douleur
«Quand la douleur chronique résiste au traitement, les soignants prennent peu à peu conscience qu’il faudra prendre un autre cap que celui d’une approche curative et aller vers le faire avec. C’est un solide chemin qui implique une adaptation sollicitant les ressources intellectuelles, affectives, relationnelles du patient et du soignant. On considère que le modèle biopsychosocial est le cadre théorique de référence le mieux adapté à la douleur chronique. Par opposition au modèle biomédical, celui du corps-machine, il considère les facteurs psychosociaux comme pouvant influencer autant la santé que les facteurs biologiques.»
«Le modèle biopsychosocial n’est pas seulement un outil théorique permettant de mieux comprendre un problème de santé. Il est aussi un outil pratique, clinique, permettant d’accompagner les patients sur le chemin d’un mieux-être.»
Éric aurait-il pu s’adapter plus rapidement s’il avait intégré les explications données dans un des 35 centres de la douleur reconnus en Belgique? «Toute personne souffrant de douleur chronique ne retirera pas nécessairement de bénéfice d’un suivi spécialisé. Beaucoup ont appris à faire face à leur problème de manière relativement satisfaisante avec le soutien de leur médecin généraliste et d’autres thérapeutes de proximité, comme un kinésithérapeute, un psychologue, un infirmier ou un pharmacien.»