L’ordre des arachnides comporte de nombreuses espèces aux caractéristiques diverses. Une étude, menée par des biologistes de l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique, a mis en évidence une espèce chez qui une certaine catégorie de mâle présente un phénotype féminin alors que la plupart exhibent un aspect très masculin. Les chercheurs expliquent cette différence d’apparence par le fait que les premiers portent un super gène, regroupant des gènes sexuels, dont les seconds sont dénués. Même si la génétique l’explique, ce phénomène reste une interrogation en termes d’évolution.
L’homogénéité est contre nature
Dans la nature, l’hétérogénéité, même au sein d’une espèce, semble prédominer, et ce pour tous les règnes. Prenons les végétaux, une espèce de primevères présente des spécimens avec des anthères élevées au-dessus du stigmate et d’autres avec des anthères plus profondément enfuies dans la tige. Ou encore chez les insectes, on trouve des demoiselles et des papillons avec des motifs colorés différents.
C’est aussi le cas pour l’araignée Oedothorax gibbosus. Il y a deux types de mâles : le plat et le bossu. Les mâles plats ressemblent davantage aux femelles et maturent plus vite, leur permettant d’être les premiers à fertiliser les femelles. Les mâles bossus, quant à eux, ont une structure de tête complexe avec des glandes et des poils sensoriels qui peuvent inciter des femelles déjà fécondées de s’accoupler avec eux.
Selon le biologiste de l’évolution, Frederik Hendrickx, « la différence entre ces deux types de mâles est énorme, au moins aussi importante que la différence entre deux espèces, comme un tigre et un lion. Quand les tigres se reproduisent avec les lions, on obtient des formes intermédiaires – des tigrons (ou ligres), avec des caractéristiques de tigres et de lions – parce que leurs gènes sont brassés comme un jeu de cartes. Mais dans le cas de nos arachnides, les deux types distincts persistent. Comment cela est-il possible ? C’est un grand mystère pour la biologie de l’évolution. Les araignées gibbosus sont une belle opportunité pour comprendre comment cela se passe génétiquement. »
Super gène
Les chercheurs ont criblé le génome et constaté que les mâles bossus possèdent un groupe de gènes qui manquent aux autres mâles.
« Le génome semble être particulièrement dynamique », explique Dr Hendrickx. « Les gènes qui contribuent aux mêmes caractéristiques peuvent être déplacés et regroupés afin d’être hérités en un seul paquet. »
Seuls les gènes nécessaires au développement des mâles bossus sont regroupés dans ce set de gènes, appelé super gène. Les mâles plats peuvent parfaitement vivre sans ces gènes.
Ce super gèneexplique non seulement la différence entre les deux types de mâles, mais aussi pourquoi on ne trouve pas de forme intermédiaire, hybride.
Réactions en chaîne
Quand les biologistes de l’évolution ont analysé d’encore plus près ce super gène, ils ont constaté qu’un des gènes dans ce super gène est une copie du gène doublesex. Toutes les espèces animales – nous y compris – possèdent ce gène.
Doublesex est un facteur de transcription : il active ou désactive d’autres gènes. « C’est un grand bouton ON pour les caractéristiques typiquement mâles. Si le gène doublesex est désactivé dans tout le génome des souris, les mâles développent un organe ressemblant aux ovaires », précise Dr Hendrickx.
Le développement des caractéristiques mâles chez les araignées gibbosus s’opère selon une réaction en chaîne : les chromosomes sexuels activent le gène doublesex, qui lui-même active les gènes responsables des caractéristiques mâles, à la fois dans le super gène et en dehors de celui-ci.
Les mâles plats, n’ayant pas le super gène, n’ont pas ce bouton ON supplémentaire. Dès lors, ils ne développent pas les caractéristiques secondaires des mâles bossus.
« Dans la plupart des espèces, le développement sexuel dépend de beaucoup plus que des chromosomes sexuels. C’est une cascade de gènes qui sont activés ou désactivés. Un seul maillon en plus ou en moins peut faire une différence de taille. »
Boite à outils
Les mâles plats ont un organe sexuel masculin, produisent du sperme et peuvent procréer. Et ce, suite à la présence de cinq autres gènes doublesex, lesquels sont situés ailleurs dans le génome et engendrent les caractéristiques masculines de base.
« On peut voir le super gène comme une boîte à outils : au cours de l’évolution, de plus en plus de gènes ont atterri dans cette boite à outils. Un gène doublesex supplémentaire ainsi que d’autres gènes responsables de caractéristiques mâles distinctes ont été ajoutés à la boite à outils car ils offraient un avantage certain. »