Il y a six mois, la déclaration gouvernementale du Premier ministre Charles Michel (MR) annonçait, entre autres choses, la disparition de la Politique Scientifique fédérale (BELSPO) .
L’émoi dans la communauté des chercheurs en Belgique, tant au Nord qu’au Sud du pays, était, et est toujours, immense. Leur mécontentement, ils l’ont cristallisé dans une pétition : “Save Belspo”. Dix-sept des 17.000 signataires de cette pétition ont fait le point jeudi matin sur la situation. Un constat: l’avenir incertain de la Politique scientifique fédérale belge est préjudiciable au potentiel scientifique du pays, et donc à terme, à son économie.
Absence de stratégie
“Nous ne connaissons toujours pas les véritables intentions du gouvernement fédéral”, déplore le Pr Jean-Louis Tison (glaciologue, ULB). “Les plans gouvernementaux annoncent la disparition de BELSPO, une structure efficace et indispensable aux scientifiques de Belgique, mais sans pour autant préciser de quoi, concrètement, l’avenir sera fait. Après six mois au pouvoir, cette absence de stratégie, c’est incompréhensible”.
“Or”, renchérit le Pr Vinciane Debaille (géologue, ULB), “la première phrase de la déclaration gouvernementale en ce qui concerne le potentiel scientifique du pays précise que la recherche reste une priorité du gouvernement”.
Un outil de visibilité internationale
Les 17.000 signataires de la pétition des “Amis de la Science“, dont un Prix Nobel, ne veulent pas de la disparition programmée de cette structure fédérale. “BELSPO et ses programmes de recherche permettent une flexibilité dans les financements de la recherche”, pointe le Pr Luc De Meester (spécialiste de la biodiversité à la KULeuven). “Ce département de l’Etat fédéral soutient des recherches qui touchent directement à la Société et à ses préoccupations du moment. En outre, c’est un formidable outil pour les équipes belges. En soutenant des projets de recherche transnationaux, BELSPO assure aussi la visibilité et l’excellence des équipes belges au niveau international”.
“En supprimant BELSPO, c’est le leadership intellectuel du pays qui est menacé”, estime pour sa part le Pr Guy Cornelis (UNamur). Rentré depuis peu de Suisse (Université de Bâle), où il a participé à de nombreux programmes de recherche, il mesure pleinement l’utilité d’une structure telle que BELSPO pour la Belgique. “Les collaborations internationales sont indispensables, souligne-t-il. Mais les collaborations les plus efficaces sont aussi celles qui se nouent entre partenaires proches, à l’échelle du pays”, dit-il.
La Belgique va à contre-courant d’autres (grands) états fédéraux
Aux Etats-Unis, le Pr Guy Brasseur (qui travaille aussi avec le Max Planck en Allemagne) jette lui aussi un regard inquiet sur ce qui se passe en Belgique. “Aux Etats-Unis comme en Allemagne, deux états fédéraux, on a bien compris l’importance de la Science et de la Recherche. Les pouvoirs fédéraux ont ainsi renforcé leurs structures et leurs financements dans ce domaine. En Allemagne, les autorités ont bien compris que c’était là le meilleur moyen de garantir l’avenir économique du pays, tant en ce qui concerne la recherche dans le pays que celle réalisée par ses chercheurs en dehors de ses frontières.”
Peu motivant pour les (futurs) étudiants
L’absence de vision, de direction du gouvernement belge dans ce domaine, lasse les chercheurs. Et fait fuir les cerveaux brillants. “Quel mauvais signal pour les étudiants et les futurs étudiants”, pointe le Pr Tison (ULB). “Les facultés des Sciences de nos universités peinent à séduire de nouveaux étudiants. En oblitérant l’avenir de la recherche fédérale en Belgique, on va les démotiver davantage encore”, indique-t-il en substance.
“Affaiblir le pouvoir fédéral en matière de recherche, cela signifie une plus grande fragmentation de la politique scientifique en Belgique”, indique le Pr Jean-Pierre Henriet (UGent). “Cela signifie aussi une perte de masse critique des équipes et des réseaux de chercheurs dans le pays. La menace est sérieuse”.
“Tout ceci nous amènera, au niveau international, à être considérés comme des parents pauvres de la recherche”, souligne le Pr Robert Halleux (historien des Sciences, ULg). « Les scientifiques ne comprennnent pas comment un gouvernement peut faire fi de 17.000 réactions de scientifiques belges et étrangers réclamant le maintien de BELSPO ».
Et l’Agence spatiale « Belspace »?
Le détricotage de BELSPO passe aussi par l’autonomisation des Etablissements scientifiques fédéraux et l’externalisation d’autres joyaux fédéraux, comme la politique spatiale belge.
Le plan du gouvernement est de remplacer le système de gestion du spatial belge actuel, réalisé par BELSPO depuis 40 ans, par une Agence spatiale interfédérale belge (BELSPACE).
Cela travaille intensément, depuis le début de l’année, en ce qui concerne cette agence. Les réunions entre le cabinet de la Secrétaire d’Etat en charge de la Politique scientifique (Elke Sleurs, N-VA) et les fonctionnaires fédéraux se multiplient. Un texte d’avant-projet de loi est en cours de confection.
“Une hérésie”, s’emporte le Pr Robert Halleux (ULg).“L’Agence spatiale belge, c’est BELSPO”, dit-il. “Créer une nouvelle structure dotée d’une cinquantaine de personnes (là où il n’y en a aujourd’hui qu’une petite vingtaine), avec un Conseil d’administration de 12 personnes, flanqué d’une demi-douzaine de Comités d’avis différents et avec des partenaires régionaux pouvant jouer aux minorités de blocage : cela ne peut pas fonctionner. Je leur souhaite bonne chance pour être efficace!”