La liberté de savoir: un enjeu universel

2 avril 2019
Durée de lecture : 6 min

CARTE BLANCHE
par Bernard Rentier,
Recteur honoraire de l’Université de Liège, membre de l’Académie royale de Belgique

L’accès à la connaissance est un droit humain fondamental, en tant que corollaire du droit à l’éducation reconnu par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) adopté par l’Assemblée générale de l’ONU le 16 décembre 1966. Ce pacte international, vieux de plus de 50 ans mettait en application l’article 26 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Ceci étant établi, il est évident qu’aucune barrière, ni technique, ni financière, ne peut priver quiconque de cet accès au savoir.

Libre accès aux publications scientifiques

Jusqu’au tournant du 21e siècle, accéder à l’information scientifique coûtait de l’argent mais ces dépenses restaient supportables pour les universités. Le développement simultané de l’Internet et d’une explosion des prix de la part de quelques maisons d’éditions gigantesques se permettant les profits déraisonnables ont fait naître un mouvement très déterminé en faveur d’un accès libre aux résultats des recherches publiques (Open Access).

De la part de ces grands éditeurs, vouloir étrangler la poule aux œufs d’or au moment même où la technologie lui permet de prendre son envol seule était une stratégie risquée. Elle a néanmoins fonctionné jusqu’ici, essentiellement en raison du fait que tout chercheur a été éduqué par ses aînés à placer son amour-propre dans le prestige de l’éditeur qui accepte de le publier.

Ce désir est tellement puissant que le chercheur :

  • 1) accepte systématiquement de fournir son manuscrit gratuitement
  • 2) quelquefois paie pour publier
  • 3) accepte de travailler gratuitement pour l’éditeur en tant que lecteur-évaluateur et…
  • 4) compte sur son institution pour acheter cette revue, parmi d’autres.

Y compris pour les non-scientifiques

Les publications scientifiques sont généralement tellement spécialisées que seuls des spécialistes peuvent en comprendre le contenu et la portée. Il y a donc plusieurs manières de donner l’accès aux fruits de la recherche au public, selon ses compétences.

Lorsque celui-ci ne fait pas partie des connaisseurs du sujet en question, il convient d’en faire une analyse synthétique et une mise en situation pour le rendre compréhensible. Ceci peut parfois être pris en charge en tant que service complémentaire par les éditeurs et aide souvent à justifier l’écart entre les prix pratiqués et le coût réel d’édition des articles. C’est une caractéristique bien connue des revues Nature au Royaume-Uni ou Science aux Etats-Unis qui incluent ces services.

Une autre solution est celle qu’offre Daily Science, sur le modèle des grands magazines de vulgarisation scientifique (Scientific American, The Scientist, Pour la Science, Science & Avenir, etc.) avec cette différence importante qu’il s’agit ici d’un magazine électronique en ligne et gratuit, et c’est à lui que nous souhaitons aujourd’hui un heureux anniversaire.

La liberté d’éditer a un prix

Avec Daily Science, nous sommes dans le droit fil de l’ouverture de la Science à tout le monde. Mais l’optique consiste bien ici à rendre ce savoir accessible sans entrave financière (le magazine est gratuit), ni technique (rares sont ceux qui, de nos jours, ne peuvent accéder à l’Internet d’une manière ou d’une autre) ni intellectuelle (le souci pédagogique des auteurs – chercheurs ou journalistes – met le contenu à la portée de tous).

Toutefois, il existe un coût incompressible lors de la production des articles. En effet, même si les chercheurs qui contribuent au magazine le font bénévolement, dans le but constant de faire comprendre ce qu’ils (ou leurs pairs) font, une équipe de journalistes compétents est nécessaire pour le travail de vulgarisation (*). À cet égard, ces journalistes font un métier dont le statut est le même que celui des journalistes des autres types de presse, en particulier celle qu’on appelle « la grande presse ». Dans ce cas précis, l’éditeur doit rémunérer l’auteur pour sa rédaction. Il trouve les ressources dans les montants qu’accepte de payer le lecteur.

Dans le modèle où l’accès est libre, le financement de l’opération doit venir d’ailleurs. En pratique, il doit nécessairement provenir des pouvoirs publics, pour autant que ceux-ci comprennent l’enjeu d’une information claire, rigoureuse et compréhensible à destination de tous les publics sur les progrès de la science, ou d’un mécénat convaincu de l’importance sociétale de la mission que s’est donné le magazine.

En effet, chacun peut aujourd’hui être convaincu du rôle indispensable que joue l’enseignement des sciences et la culture scientifique, même fortement vulgarisée – pour autant qu’elle fasse preuve de rigueur – dans la lutte permanente contre l’obscurantisme, le dogmatisme, toutes les formes de négationnisme ainsi que les extrémismes dont notre humanité est victime. Les agences de financement de la recherche peuvent également être attentives à cette étape de la démarche scientifique globale, elle relèvent elles-mêmes pour leur financement des pouvoirs publics et/ou du mécénat.

C’est ainsi que nous (qui sommes les bénéficiaires de cette dissémination de la connaissance) devons une reconnaissance aux ministères compétents et aux donateurs sans qui Daily Science n’aurait pu survivre longtemps après son lancement audacieux il y a 5 ans. Mais ce soutien, toujours remis en question et potentiellement fragile, ne doit pas nous faire oublier que chacun de nous peut participer à la diffusion de la connaissance en contribuant, même modestement, à une pérennisation d’initiatives telles que celle-ci.

Non seulement Daily Science fournit un excellent service, mais il le fait avec modernité dans l’esprit de la Science Ouverte dont il est une parfaite application, en particulier dans son volet de science citoyenne (Citizen Science).

(*) J’utilise ce terme à dessein – même si on lui trouve parfois une connotation péjorative – car il s’agit bien ici de son acception originale: « commun à tous ».

 

 

« Science ouverte »

"Science ouverte: le défi de la transparence", par Bernard Rentier, Editions "L'Académie en poche". Version électronique disponible gratuitement.
“Science ouverte: le défi de la transparence”, par Bernard Rentier, Editions “L’Académie en poche”. Version électronique disponible gratuitement.

Le Pr Rentier vient de signer, aux Editions de l’Académie Royale de Belgique (Collection « L’Académie en poche », un ouvrage sur la Science ouverte intitulé « Science ouverte: le défi de la transparence ». Cet ouvrage est disponible gratuitement au format électronique. Une version en langue anglaise est également mise à la disposition du public.

Cette version fait par ailleurs partie de la boîte à outils (tool box) de l’initiative « Recherche et Innovation Responsables » (RRI). Cette initiative s’intéresse aux différents aspects de la relation entre Recherche & Innovation (R&I) et société: implication des publics, libre accès, égalité de genre, éducation aux sciences, éthique et gouvernance.

 

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