Les sols produisent plus de 95 % de la nourriture que nous consommons. Ils hébergent plus de 25 % de la biodiversité mondiale (en nombre d’espèces). Ils constituent le plus grand réservoir de carbone terrestre de la planète. Pour assurer la pérennité de la vie humaine sur Terre, le bon sens voudrait qu’on prenne soin de cet allié de taille, qui est une ressource limitée de surcroît, non renouvelable à des échelles de temps humaines. Et pourtant, le constat est amer : à l’échelle européenne, plus de 60 % des sols sont dégradés.
Les maisons et les magasins poussent comme des champignons : l’artificialisation outrancière des terres empêche l’eau de s’infiltrer dans le sol. L’absence de haies dans les grands champs favorise l’érosion du sol et la perte de matière organique, lors d’épisodes de fortes pluies. Le passage avec de gros engins lourds augmente le tassement. A ces menaces s’en ajoutent d’autres : excès ou déficit de nutriments, déclin de la biodiversité, pollutions, acidification, salinisation, etc.
Le plan de relance de Wallonie, au sein de son axe 5, comprend des actions en faveur des sols. « L’indice de qualité du sol wallon fait partie d’un package de projets visant à mieux connaître la qualité des sols de Wallonie via la mise en place d’un monitoring. Et ensuite, à mieux la diagnostiquer », explique Brieuc Hardy, l’une des chevilles ouvrières de ce projet.
Afin de construire cet indice de qualité des sols wallons (IQSW), le Centre wallon de recherches agronomiques (CRAW) travaille main dans la main avec des chercheurs de l’UCLouvain et Aries Consultants, un bureau d’études spécialiste du sol.
Une aide à l’aménagement du territoire
L’IQSW devrait permettre d’évaluer la qualité d’un sol de manière objective. D’énoncer des recommandations pour restaurer ou améliorer l’état d’un sol. Et aussi, d’orienter l’usage futur d’un sol. En effet, pour la construction d’une maison ou la culture du froment, on n’a pas besoin d’un sol de même qualité. L’entrepreneur va se focaliser sur ses propriétés géotechniques : stabilité, portance, infiltration de l’eau. Tandis que l’agronome va s’intéresser à sa structure, sa richesse en nutriments, etc.
Aujourd’hui, quand on envisage la construction d’un nouveau quartier, d’une usine, d’un zoning, plein de choses sont prises en compte, mais le sol est souvent le parent pauvre. « L’un de nos grands enjeux est de parvenir à construire un outil capable de quantifier de manière objective les différents services que le sol va rendre aux sociétés humaines. Et ainsi, faire en sorte que la qualité du sol soit, à l’avenir, prise en compte dans la prise de décision relative aux projets d’aménagement du territoire », poursuit Brieuc Hardy, pédologue, chercheur en sciences de la terre au sein du CRAW.
Les sols rendent de très nombreux services
Dans les cartons de l’Union européenne, siège la future Directive pour la surveillance et la résilience des sols (COM/2023/416). Elle est actuellement en négociation entre le Conseil et le Parlement européen. Cela n’empêche, les versions préparatoires esquissent la définition d’un sol sain : en bon état chimique, physique et biologique, capable de fournir des services écosystémiques.
Ces derniers sont au nombre de 7. « Le premier, c’est la production de biomasse, à vocation alimentaire, mais aussi énergétique ou bien de production de matériaux, comme la sylviculture. Un autre service écosystémique, c’est la régulation du cycle de l’eau, tant en termes de quantité et de qualité. Le sol contrôle les inondations via l’infiltration d’eau. Il stocke l’eau pour les plantes. Il filtre l’eau de pluie et alimente les nappes d’eau souterraine », explique Brieuc Hardy.
Et de poursuivre, « un service dont on entend beaucoup parler aujourd’hui, c’est le rôle de régulateur climatique du sol. En effet, le sol est un immense réservoir de carbone qui réalise en permanence des échanges avec l’atmosphère. Et ce, via la photosynthèse dans un sens et la minéralisation dans l’autre sens. Le sol retarde donc l’effet de serre. Les pratiques de gestion du sol impactent le feedback (ou rétroaction) climatique. »
« Il y a aussi le rôle majeur d’habitat pour la biodiversité. Plus d’un quart des espèces vivantes se trouvent dans les sols ! Ce réservoir pratiquement sans fin est une mine d’or pour l’industrie pharmaceutique à la recherche de principes actifs pour nous soigner. Cela nous amène à un autre service, qui est la fourniture de matières premières via l’extraction de minéraux. »
« Le sol participe à la création des paysages. Il sert évidemment de support aux infrastructures (routes, bâtiments) et autres activités humaines. A noter qu’un des grands objectifs de la future directive européenne pour la protection des sols, c’est d’arriver à mieux contrôler et à orienter l’artificialisation des sols, et à restaurer ceux qui peuvent l’être. »
« Le dernier service que le sol nous rend, c’est la sauvegarde de notre histoire, via les vestiges qu’il héberge », explique le pédologue.
Construction de l’indice
Afin d’intégrer au mieux ces paramètres dans le futur indice de qualité des sols wallons, mais aussi d’entendre les craintes et l’enthousiasme des secteurs, des groupes de consultation ont eu lieu au mois de juin 2024.
Les sols urbains, forestiers et agricoles ont été abordés. En s’intéressant à chaque fois, notamment, à l’usage qui pourrait être fait de l’IQSW dans les métiers concernés, ainsi qu’au service écosystémique à prioriser en fonction de l’usage du sol.
« Riches de ses informations, nous allons désormais fournir un gros input scientifique afin de proposer une première version de l’indice. Un module, qui sera une version simplifiée de l’IQSW, sera proposé en fin d’année avec comme objectif de sensibiliser les citoyens à l’outil et à la problématique des sols », précise Brieuc Hardy. Ensuite, viendront la partie technique et la création des modèles de calculs, suivies de la formation des secteurs à l’utilisation de l’IQSW. Démarré en janvier 2024, ce projet se clôturera fin 2026.