Abus sexuels : les clés de la résilience

2 décembre 2014
par Mélanie Geelkens
Temps de lecture : 5 minutes

Une femme sur cinq en moyenne a connu des abus sexuels durant son enfance. Une vie brisée sur cinq ? Les risques de sombrer dans une trajectoire délinquante sont importants pour ces victimes.

Selon les études, 30 à 70% des jeunes filles ayant eu maille à partir avec la justice traînent derrière elles le fardeau de la pédophilie. D’autres parviennent à construire une existence épanouie. Quels sont les facteurs qui feront la différence entre délinquance et résilience ?

 

Le Dr Fabienne Glowacz est psychologue et chargée de cours à l’université de Liège. Avec sa collègue Rachel Buzitu, de l’Unité de psychologie clinique de la délinquance, des inadaptations sociales et des processus d’insertion, elle a interrogé vingt-trois adolescentes âgées de 12 à 18 ans. Toutes ont subi des violences sexuelles dès leur plus jeune âge. Mais si quinze d’entre elles ont eu des démêlés judiciaires, huit ont par contre réussi à s’en sortir.

 

Le rôle du père

 

Les résultats de leur étude, publiés dans la revue « Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence », mettent en avant le rôle du père. Il s’agit d’un aspect qui avait jusque-là souvent été mis de côté dans les thérapies. Les jeunes filles qui avaient réussi à mener une vie « normale » partageaient toutes le point commun d’avoir pu compter sur leur père.

 

À condition évidemment que celui-ci ne soit pas l’agresseur. Ce qui est parfois le cas, mais pas toujours. Des recherches ont démontré que l’auteur d’abus était 8 fois sur 10 un membre connu de la famille. Papa, beau-père, papy, parrain, voisin, ami des parents, oncle…

 

Soutien maternel défaillant

 

« Lorsque le père n’est pas mis en cause, on s’est rendu compte qu’il avait une place importante à prendre suite au dévoilement des faits, explique Fabienne Glowacz. Il va aider à réhabiliter la fonction et l’image de l’homme. Jusqu’à présent, on s’était surtout concentré sur le rôle des mères, dont l’appui est excessivement important et réparateur. Mais toutes ne l’apportent pas. Parce qu’elles ne peuvent pas croire que leurs compagnons puissent avoir commis de tels actes ou parce qu’elles pensent que leur fille les a séduits ».

 

Le soutien des pères se révèle d’autant plus important dans ces situations où les mères refusent de considérer leur enfant comme une victime. Mais leur permettre d’épauler leur fille n’est parfois pas simple, surtout lorsqu’ils ont été tenus éloignés de la sphère familiale après que leur ex-femme se soit remise en couple. Ou simplement parce que le poids de la situation leur semble trop lourd à porter.

« Malgré tout, il s’agit d’une piste importante à explorer dans une thérapie, ajoute Fabienne Glowacz. Il faut réfléchir à des moyens de les mobiliser, de les intégrer dans la prise en charge ».

 

Appel à un ami

 

La psychologue liégeoise a également observé d’autres points communs chez les adolescentes résilientes. Comme le fait de suivre une thérapie ou la capacité à pouvoir mobiliser des ressources extrafamiliales, en sollicitant l’appui d’un ami, d’un professeur, etc.

 

Par ailleurs, les jeunes délinquantes interrogées ont été confrontées à des abus sexuels pendant de plus longues périodes. L’âge auquel elles ont été victimes ne semble par contre pas peser, ni en bien,  ni en mal. Pas plus que la nature des actes pédophiles, ni les liens relationnels plus ou moins étroits avec leur agresseur.

 

La qualité des liens familiaux noués dès la petite enfance n’entre pas davantage en ligne de compte, contrairement à l’hypothèse qu’avaient formulée les deux chercheuses. Les vingt-trois jeunes femmes rencontrées dans la cadre de cette étude avaient toutes vécu dans un environnement familial négligent ou violent.

Mais Fabienne Glowacz rappelle que les violences sexuelles commises sur des mineurs sont observées dans toutes les couches de la population. Provenir d’un milieu social élevé n’aidera pas particulièrement à s’en sortir, et vice versa.

 

Les mentalités ont évolué, la parole s’est libérée

 

Les « affaires » qui ont mobilisé toutes les attentions ces dernières années auront au moins eu un mérite : montrer que la pédophilie n’a de frontières ni sociales, ni géographiques.

La psychologue, qui avait participé dans les années 1980 à la première étude scientifique en Belgique sur les familles confrontées à l’inceste n’a toujours pas oublié les phrases qu’elle avait entendues à l’époque. « Ça n’existe pas chez nous » ou encore « On ne voit ça que dans le fin fond des Ardennes ! »

 

Trois décennies plus tard, les mentalités ont bien évolué. La parole s’est libérée. La prise en charge des victimes, tout comme des auteurs, s’est améliorée. Il reste toutefois encore du chemin à parcourir.

Les adolescentes sollicitent peu, d’elles-mêmes, un suivi thérapeutique ou, parfois, ne vont pas au bout du processus. Les psychologues doivent continuer à chercher des moyens de les y inciter et à améliorer la prise en charge. Comme en travaillant sur la réhabilitation du rôle du père…

 

 

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